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d’autrui ? Mais, entre tous les peuples, celui-ci semble avoir une vocation particulière pour le larcin. L’adresse des voleurs égyptiens est depuis long-temps célèbre. Hérodote en rapporte plusieurs exemples, parmi lesquels brille au premier rang l’histoire des deux frères qui pénètrent dans le trésor du roi Rampsinite, et dont l’un, pris au piège, conseille à l’autre de lui couper la tête et de l’emporter pour éloigner tout soupçon de complicité. C’est certainement une des plus belles histoires de voleurs qu’il y ait : aussi a-t-elle été souvent reproduite ; Pausanias l’entendit raconter avec peu de changemens en Béotie ; enfin elle est arrivée jusqu’au moyen-âge et a formé le sujet d’un fabliau. Ce n’est pas la seule allusion qu’Hérodote fasse au penchant des anciens Égyptiens pour le vol. Les Pharaons eux-mêmes n’en étaient point exempts, et il ne faut pas oublier quel métier Amasis, usurpateur il est vrai, avait fait avant de monter sur le trône.

Les Égyptiens passaient pour être peu belliqueux au temps de la domination romaine ; aujourd’hui ils ne semblent pas plus disposés à faire la guerre. Partout on voit des fellahs qui se sont coupé un doigt ou arraché un œil pour ne pas servir ; mais ces tristes ruses sont inutiles, et le pacha trouve moyen d’employer ceux qui en font usage.

Ce qui est plus durable encore que les mœurs, ce sont les traditions religieuses. Quelques traces de l’ancien culte égyptien se sont conservées chez les fellahs depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Au grand mât de notre barque est suspendu le corps d’un épervier qui doit protéger notre voyage. N’est-ce pas une momie d’Horus, le dieu Soleil, figuré sur les monumens par l’hiéroglyphe de l’épervier, qui est en général l’hiéroglyphe de la divinité ? Le serpent est un autre signe hiéroglyphique de l’idée de Dieu ; encore aujourd’hui les femmes égyptiennes rendent un culte au serpent et s’adressent à lui pour devenir fécondes : Cette fascination par le regard qui, depuis Théocrite et Virgile, est un article de foi chez les peuples de l’Europe méridionale, cette puissance du mauvais œil, dont Soliman me raconte chaque jour quelque effet extraordinaire, est peut-être une superstition égyptienne ; aurait-elle pour origine l’œil sacré qui figure dans le nom d’Osiris ? Il faut se rappeler qu’Osiris est autant un dieu infernal qu’un dieu céleste, et qu’en conséquence son œil peut bien être le mauvais œil, l’œil funeste dont un regard donne la maladie ou la mort. En même temps ce peut être aussi l’œil lumineux et vivifiant de l’Osiris céleste, du soleil qui éloigne tous les maux et tous les dangers. Pris ainsi comme symbole favorable, l’œil figure souvent dans les inscriptions hiéroglyphiques et a peut-être passé de là sur les barques des mariniers de la Méditerranée, surtout de l’Archipel grec, où on le voit encore. Du reste, l’ancien culte de l’énergie vitale et fécondante de la nature, représentée sur