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Nil. Le Nil Blanc coule à peu près du sud au nord, dans la direction générale du fleuve, et par son volume paraît l’emporter sur un affluent considérable qu’il reçoit de l’est et qu’on appelle le Nil Bleu. C’est le Nil Bleu qu’avait suivi Bruce, et c’est ainsi qu’il se croyait arrivé aux sources du Nil, comme le disait modestement le titre de son voyage. Il n’avait pas même l’honneur d’avoir découvert cette fausse origine du fleuve ; un Portugais nommé Paez l’avait devancé dès le commencement du XVIIe siècle, et, après lui, les jésuites portugais. Danville a établi, par une excellente dissertation, qu’on n’avait pas encore découvert les vraies sources du Nil. La conclusion du mémoire de Danville reste vraie ; seulement on sait où il faut les chercher. C’est en remontant le Nil Blanc, et non en suivant le Nil Bleu, qui n’est pas le Nil.

Quand on ignore, on imagine ; aussi les imaginations sur les sources du Nil n’ont pas fait défaut. D’après les géographes grecs et les géographes arabes, ces sources se trouvaient sur de très hautes montagnes, nommées montagnes de la Lune. Dans les cartes un peu anciennes, ces montagnes tiennent une place considérable ; mais aujourd’hui on n’en regarde plus l’existence comme certaine, et, d’après M. de Sacy, cette dénomination célèbre pourrait bien reposer sur une confusion de mots. Les historiens arabes se sont aussi donné carrière au sujet des sources du Nil. Il y en a douze selon Massoudi, dix selon Ebn-Kethyr. Suivant d’autres auteurs, le fleuve sort d’un grand lac, puis coule sous la terre et traverse des mines d’or, de rubis, d’émeraudes et de corail ; ensuite il va former un courant dans la mer des Indes. Selon quelques récits, le roi Walid, ayant gravi les montagnes de la Lune, découvrit au-delà un fleuve de poix noire qui coulait silencieusement. Ceux qui revinrent racontèrent que dans cette région de mort ils n’avaient aperçu ni soleil ni lune. D’autres disaient que les voyageurs arrivés au sommet de la montagne merveilleuse étaient saisis d’une folle joie, et, battant des mains, poussant des éclats de rire étranges, se sentaient attirés dans un abîme, où ils allaient disparaître.

Parmi les anciens, les uns plaçaient les sources du Nil dans cette terre imaginaire située au sud qu’ils appelaient Antichtone, les autres à l’extrémité orientale de l’Asie ou à l’extrémité occidentale de l’Afrique. On les faisait voyager de l’Indus au Niger. Alexandre, arrivé au bord de l’Indus, crut être arrivé aux sources du Nil. D’autre part, Pline, d’après Juba, faisait venir le Nil de l’Afrique occidentale, et Édrisi fait découler de la même source le Nil d’Égypte et le Nil des nègres, qui est le Niger. Le Niger fut représenté comme un bras occidental du Nil sur toutes les cartes, jusqu’à celle de Delille en 1722. Cette opinion erronée, contre laquelle Gabey s’élevait déjà en 1689, a été reprise de nos jours, et, chose incroyable, un Anglais a publié en 1821 un écrit sous ce titre :