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pas le Nil, c’est la puissance productrice du monde conçue obscurément, mais dans toute son universalité. Les mythologies n’ont pour principe ni des conceptions abstraites, comme on l’a cru trop souvent en Allemagne, ni les notions du bon sens vulgaire, comme on l’a trop dit en France au XVIIIe siècle : elles contiennent des idées très simples, mais grandes ; elles sont matérielles, elles ne sont pas prosaïques.

Le Nil, en s’abaissant, s’éloigne toujours plus de la surface du sol qu’il doit féconder. Pour l’amener à une hauteur convenable, on emploie deux moyens. Le plus simple et le plus imparfait est le travail de deux hommes abaissant de concert un levier qui se relève par l’effet d’un contre-poids placé à l’une de ses extrémités ; à l’autre bout est un seau de cuir qui tour à tour se remplit dans le fleuve et se verse dans une rigole. Ces hommes sont souvent presque nus. Le mouvement régulier et silencieux de leur corps bronzé arrête l’œil du voyageur. Ce procédé, qui était déjà connu des anciens Égyptiens, est bien imparfait ; beaucoup de force est dépensée sans un grand résultat : l’eau s’échappe en partie du seau de cuir, souvent troué. Une telle machine s’appelle chadouf. Une autre machine un peu meilleure, et que les anciens connaissaient également, porte le nom de sakyéh, ou roue à pots. Mis en mouvement par des bœufs, un long chapelet de vases attachés à une corde ou une roue à auges vont chercher l’eau et l’élèvent à la surface du sol ; là, elle est déversée par l’inclinaison des vases ou des auges. Il y a, dit-on, cinquante mille sakyéhs en Égypte. Ces machines sont lourdement imposées. Or, un impôt sur l’eau est ici ce qu’ailleurs est un impôt sur le pain. On a déjà songé plusieurs fois à employer des procédés plus savans pour élever l’eau du Nil. Belzoni fut conduit par un projet de ce genre dans cette Égypte où il devait s’illustrer par d’autres travaux. Jusqu’ici, nulle tentative n’a réussi ; mais on finira par employer la machine à vapeur ou le bélier hydraulique. Alors des terres aujourd’hui arides deviendront fécondes ; la limite du désert, qui s’est avancée depuis les temps anciens, reculera devant les inventions de la mécanique moderne. On pourra peut-être aussi tirer parti des puits artésiens, appelés, selon M. Fournel, à créer des oasis dans les sables de l’Algérie.

L’eau du Nil a une antique réputation, et elle en est digne. Les rois de Perse se faisaient apporter à grands frais cette eau précieuse. Ptolémée-Philadelphe, ayant marié sa fille à un roi de Syrie, prit grand soin qu’on lui portât de l’eau du Nil, afin qu’elle ne bût d’aucune autre eau. Selon Sénèque, nulle rivière n’est plus douce : Nulli fluminum dulcior gustus est. Aussi Pescenninus Niger disait à ses soldats : - Vous avez l’eau du Nil et vous demandez du vin ! En effet, cette eau se conservait dans des amphores comme du vin, et on a dit qu’elle était, parmi les eaux potables, ce qu’est le vin de Champagne parmi les vins. On lui a