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doucement notre voile ; l’île de Rhoda semble se dérober insensiblement ; les têtes vertes des palmiers percent la brume légère du matin. De petites bergeronnettes viennent se poser sur les cordages, sautillent entre les pieds des matelots, voltigent de la barque de nos amis à la nôtre, et de notre barque à la leur. Tout est impression suave, perspective souriante, heureux présage, et je n’ai point de visite à faire.

Aujourd’hui 1er janvier, les Coptes célèbrent leur carnaval en se jetant à la tête des œufs et de l’eau sale. Autrefois on promenait un homme sur un âne. Les divertissemens des saturnales avaient également lieu vers le solstice d’hiver au renouvellement de l’année solaire. C’est à la même époque de l’année que les peuples scandinaves célébraient par des déguisemens bizarres et des joies bruyantes, dans une fête qui porte encore le nom païen d’lul, le retour de la période ascendante du soleil. Le carnaval des peuples chrétiens est un héritage du paganisme romain et du paganisme germanique. Quand le commencement de l’année fut fixé au mois de mars, les réjouissances qui accompagnaient le solstice furent reportées aussi près de l’équinoxe que le permettait la période mobile du carême ; c’est pour cette raison que nos jours gras la précèdent. Chez les chrétiens d’Égypte, les folles réjouissances qui correspondent à notre carnaval ne se sont point déplacées, elles sont restées attachées au solstice d’hiver ; le jour de l’an est leur mardi gras.

Nous voilà sur le Nil, et, comme le cheyck tunisien Mohamed, fils d’Omar, dont M. Perron a traduit le curieux voyage au Darfour, «  une fois que nous fûmes sur le navire embarqués pour le grand voyage, nous dîmes : — Dieu de miséricorde et de clémence, conduis sa marche et le mène à bon port. » Ce cheyck, en quittant le vieux Caire, est un peu attristé de se sentir au milieu des fils d’une race étrangère, des enfans de Cham, dont il n’entend pas bien le langage ; mais il se réconforte d’abord par ces paroles du livre sacré : «  Voyage, il t’arrivera nouveau bonheur, » puis par ce proverbe oriental : «  Si la perle n’était pas retirée de sa coquille, on ne l’attacherait pas aux couronnes ; si la lune ne marchait pas, elle ne s’arrondirait jamais. » Sous la garantie du Coran et de la sagesse populaire de l’Orient, nous partons pleins de confiance comme le cheyck Mohamed, et nous pouvons dire encore comme lui «  Dès que nous eûmes démarré, un vent favorable nous accompagna tout le jour ; notre cange se balançait à merveille, et elle allongeait fièrement sa course. »

Dans cette journée, nous avons eu comme un avant-goût des diverses impressions qui nous attendent. Déjà nous avons contemplé le Nil sous deux aspects opposés. Au départ, le fleuve tranquille ressemblait à un lac sinueux, puis il s’est soulevé comme une mer ; l’écume blanchissait une houle jaunâtre ; nos longues voiles penchaient sous l’effort du