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la diète, si l’on songe à l’influence tyrannique exercée par les clubs radicaux, auxquels les chefs de l’état se voient forcés d’obéir. Ces clubs marchent avec exaltation à leur but, qui est l’unitarisme de la Suisse, et ils dominent le gouvernement. C’est au milieu de cette fermentation que M. de Bois-le-Comte dut faire la visite d’usage à M. Ochsenbein, président du directoire. Le langage de M. Ochsenbein avait changé la situation. Le nouveau président du directoire avait glorifié les corps francs, contre lesquels le gouvernement français avait, en 1845, énergiquement protesté. Aussi notre représentant crut-il devoir rappeler cette protestation, dans la crainte que son silence ne parût un abandon des principes que la France, il y a deux ans, avait invoqués. Après avoir remis son discours écrit à M. Ochsenbein, M. de Bois-le-Comte eut avec lui une conférence qui ne dura pas moins d’une heure, et dont plusieurs détails, à ce qu’il paraît, ne tardèrent pas à être connus des clubs radicaux, grace à la présence du chancelier fédéral, M. Amrhym, qui assistait le président du directoire. On trouva au club de l’Ours que M. Ochsenbein avait écouté trop tranquillement les observations de M. de Bois-le-Comte sur l’état de la Suisse. M. Ochsenbein est en face d’exigences et de passions révolutionnaires qu’il aura de la peine à contenter.

Il serait déplorable que ces exigences et ces passions finissent par allumer en Suisse une guerre civile, où le fanatisme politique serait encore envenimé par l’intolérance religieuse. Des deux côtés, les passions sont vives et les convictions profondes. Les catholiques sont énergiquement résolus à défendre leurs droits, qui, selon eux, sont expressément stipulés par le pacte fédéral. Leurs adversaires leur répondent que le principe fondamental du pacte est que la diète doit pourvoir à la sûreté de la Suisse ; or, les jésuites compromettent cette sûreté, et la majorité doit prononcer leur expulsion. C’est sous l’inspiration ardente de ces opinions que les corps francs se sont levés, et qu’on a vu dans leurs rangs des pères de famille qui avaient quitté leurs maisons, leurs enfans, pour sceller de leur sang le triomphe de leurs principes. Il y a aussi chez les adversaires des catholiques un désir secret de prendre une revanche de leur défaite de Lucerne. La Suisse sera-t-elle assez malheureuse pour que ces passions l’emportent sur son véritable intérêt, qui est de maintenir la constitution fédérale, tout en la perfectionnant dans ses détails ? « La Suisse doit rester ce que la nature l’a faite, c’est-à-dire une réunion de petits états confédérés, divers par le régime comme ils sont par le sol, attachés les uns aux autres par un simple lien fédéral qui ne soit ni gênant, ni coûteux. Il faut aussi faire cesser les dominations injustes de canton à canton. Il importe que l’égalité véritable, celle qui fait la gloire de la révolution française, triomphe en Suisse ; que tout territoire, tout citoyen soit l’égal des autres en droits et en devoirs. Ces choses accordées, il faut admettre non pas les inégalités, mais les différences que la nature a établies elle-même en Suisse. Je ne comprends pas la Suisse sous un gouvernement uniforme et central comme celui de la France. On ne me persuadera pas que les montagnards descendans de Guillaume Tell puissent être gouvernés comme les riches habitans de Berne ou de Zurich. » Qui a donné ces conseils à la Suisse ? Ce n’est ni un jésuite, ni un Autrichien, c’est Napoléon.

On attend encore la décision du cabinet relativement au gouvernement général de l’Algérie. Heureusement, de tous les points de notre colonie, les nouvelles confirment le maintien de la tranquillité. La frontière du Maroc, d’où paraissent