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nanimité qu’elle a voté la motion de M. Demesmay, qui n’a eu contre elle que 14 voix. La chambre veut enfin qu’on accomplisse une réforme qui touche de si près aux intérêts des classes pauvres et de l’agriculture. Sur le fond même, le gouvernement ne s’est pas mis en désaccord avec la chambre, car il a pris l’engagement de présenter dans la session prochaine une solution qui trouvera sa place dans le budget. Personne à coup sûr ne le blâmera de chercher à combiner les réformes qu’il accepte avec l’ensemble des nécessités financières. Cette marche aura l’avantage d’obliger tout le monde, le gouvernement, la commission du budget et ceux qui se préoccupent de réformes partielles, d’embrasser dans toute son étendue notre système d’impôts. C’est la meilleure manière de trouver aux réductions qui seront opérées des compensations possibles et nécessaires. M. Dupin s’est fait justement applaudir de la chambre, quand il a parlé du sel comme du troisième aliment du pauvre, venant après le pain et l’eau. « Qui de vous, s’est-il écrié, n’a vu dans nos campagnes des familles entières devant lesquelles un place pour toute nourriture un monceau de pommes de terre, très peu de pain, et pour assaisonner ce mets si insipide, de l’eau de la fontaine ! Songez à ce que serait pour cette famille un kilogramme de sel ! » Seulement cette sympathie de M. Dupin peur les classes laborieuses aurait dû l’empêcher de blâmer si vivement tout ce qui avait été fait pour imprimer un grand essor aux travaux publics. En effet, ces travaux, comme l’a dit M. Duchâtel, augmentent non-seulement la richesse générale du pays, mais encore le bien-être des classes laborieuses, en élevant la main-d’œuvre.

La chambre n’a pas montré moins d’intérêt pour d’autres travailleurs, sur lesquels la France doit étendre sa protection et sa justice ; il s’agit des esclaves de nos colonies. Nous avons déjà parlé du projet de loi qui, dans les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane française et de Bourbon, exclut les assesseurs des cours d’assises. Il a fallu reconnaître que cette exclusion est nécessaire, car les assesseurs créoles ou propriétaires d’esclaves acquittent d’une manière systématique les maîtres accusés. Le gouvernement a voulu remédier à un pareil mal sans entrer avec précipitation dans une réforme trop radicale. C’est pour cela, comme l’a remarqué M. le duc de Montebello, qu’il supprime un élément qui, par la nature même des choses, plus encore que par la faute des personnes, était justement considéré comme mauvais. Un système plus absolu proposait d’exclure sans réserve les colons des fonctions de la magistrature dans nos possessions d’outre-mer : il a été combattu par M. le ministre de la marine avec une mesure qui a été favorablement accueillie par la chambre. M. le garde-des-sceaux a d’ailleurs annoncé qu’il s’occupait, de concert avec son collègue, d’améliorations importantes dans la magistrature coloniale, qui sera assimilée à la magistrature algérienne. Au nom de la commission, le rapporteur, M. d’Haussonville, a insisté sur l’avantage qu’il y avait à adopter des mesures modérées, d’une exécution facile, et la loi a été votée à l’immense majorité de 230 voix contre 4 boules noires. Toutefois, malgré cette presque unanimité, il est fort à craindre que les colons ne persistent dans leurs plaintes. Un de leurs délégués, M. de Jabrun, a consigné dans un petit écrit, publié avant le vote de la chambre, de vives protestations contre le projet du gouvernement. Sans adopter toutes ses critiques sur la composition de la magistrature coloniale,