Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cet ancien ministre. Sur des notes manuscrites sa biographie a été habilement recomposée, et nous y apprenons à connaître un homme de mérite qui n’a guère servi que des causes malheureuses, et qui les a servies avec plus de sagesse qu’elles ne voulaient l’être. Fils d’un intendant capable et estimé, M. de Saint-Priest fut, de 1763 à 1785, ministre à Lisbonne, ambassadeur à Constantinople, puis à La Haye ; il n’entra dans le conseil du roi Louis XVI qu’en 1788, lors du second ministère de M. Necker. D’abord sans aucun département, il fuit appelé à celui de l’intérieur le 17 juillet 1789, et ne le quitta qu’environ quinze mois après. En 1795, le frère de Louis XVI, qui devait régner un jour et qui croyait régner déjà, l’appela auprès de lui en qualité de principal secrétaire d’état, et le garda dans ce poste jusqu’au mois d’août 1800. M. de Saint-Priest servit donc la royauté dans l’ancien régime, dans la révolution, dans l’émigration. Fidèle aux devoirs qu’il s’était prescrits, mais prudent et modéré, il eut cette pénible destinée de partager par dévouement des périls et des malheurs qu’il prévit assez pour essayer de les détourner, sans avoir la force qui les conjure ni la passion qui les brave. C’est une triste chose que le métier de sage dans les partis qui ne le sont pas ; mais il est toujours honorable de n’avoir ni mérité, ni provoqué les malheurs de sa cause.

Si l’on suit, avec M. de Barante, le comte de Saint-Priest soit auprès de Louis XVI, soit auprès de Louis XVIII, on est frappé du même spectacle ; c’est celui de la lutte du bon sens contre l’impossible. L’impossible, c’est la situation du malheureux Louis XVI en présence de la révolution, c’est la situation de l’heureux Louis XVIII pendant presque toute l’émigration.

C’est une question de savoir si une ancienne dynastie est compatible avec le renouvellement d’une constitution. En 1789, nos pères, ou du moins les plus habiles et les plus sages, ont tenu pour l’affirmative, et ils ont échoué. En 1830, nous avons, pour un changement bien moindre, adopté la solution négative, et je crois encore que nous avons réussi. L’illusion des premiers auteurs de la révolution fut noble et bienveillante. Ils croyaient trop à la puissance morale de leurs principes pour imaginer que les rois eux-mêmes osassent y résister ; il leur semblait que la vérité devait monter jusque sur le trône. Mais il y a une garde qui veille encore aux barrières d’un vieux trône, même après que toutes les autres gardes ont été forcées : c’est le préjugé ; et d’ailleurs la vérité, en 1789, ne se faisait pas ouvrir le palais des rois sans y amener un cortége souvent peu digne d’elle. L’insulte, la violence, la vengeance, ne sont pas des idées libérales ; la conversion de la royauté à une cause qui se produisait sous la forme du 6 octobre n’était pas facile. Mais, quand par hypothèse on se figurerait une personne royale faite à souhait pour accepter une constitution imposée et subir sans