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bien nécessaires pour protéger leur mémoire. Je connais peu de procès intentés à la vieille monarchie d’où elle sorte plus clairement convaincue d’avoir mérité toutes les peines qui peuvent humilier l’orgueil sans offenser l’humanité.

La justice historique est lente à s’établir. Nous l’avons vue, pour ainsi dire, naître et se former, et elle n’eût pas été aussi complète ni même aussi praticable dans tous les temps. Dans les premières années de ce siècle, il n’y avait point de cour à faire ou d’égards à témoigner à la dynastie proscrite ; mais les malheurs de tous étaient si récens, le souvenir d’excès cruels si vif et si déchirant, que l’on n’osait pour ainsi dire être juste, et qu’on hésitait à diminuer la compassion due à de grandes infortunes par la vérité due à de grandes fautes. L’histoire de la révolution prenait alors dans les esprits modérés une forme sentimentale. Le temps, sans rien ôter au malheur de ce qu’il a de touchant, à l’iniquité de ce qu’elle a d’odieux, a rétabli les droits de la raison, et la restauration elle-même y a beaucoup contribué. Ses préjugés, ses illusions, ses ressentimens, plus souvent puérils que méchans, ses tentatives insensées et coupables, tous ces rêves de l’orgueil sans grandeur et de l’obstination sans énergie, ont fait comprendre à tous comment la révolution avait été nécessaire et comment elle avait pu déployer contre certaines fautes une sévérité que tout motiverait, si elle n’eût été accompagnée d’iniquités et de cruautés que rien ne justifie. Les fautes de la restauration ont rejailli sur l’ancien régime ; elles ont rendu la France plus sévère dans le passé, et dans le présent plus clémente. La France a mieux compris pourquoi elle avait puni, et pourquoi elle devait moins punir ; c’est ainsi qu’elle a en quelque sorte effacé les rigueurs de 1793 par le pardon de 1830.

Mais les droits de l’histoire subsistent. Les événemens politiques sont des exemples qui instruisent, non des romans qui attachent, et l’écrivain qui les raconte est tenu de les juger. S’il trouve sur son chemin, et parmi ceux qu’il voudrait plaindre, de tristes préjugés, une vanité aveugle, un mélange funeste d’entêtement et de versatilité, la faiblesse, la jalousie, la duplicité, comment ne le pas dire ? Comment ne pas signaler tout ce qui perd les états chez ceux qui les ont perdus ? Comment ne pas écrire les termes de cet arrêt que la Providence semble prononcer sur certaines familles en leur donnant à la fois tout ce qu’il faut pour nous irriter par leurs fautes et nous attendrir par leurs malheurs ?

Ces observations justifient, ce me semble, l’impartiale sévérité avec laquelle est écrit l’ouvrage que M. de Barante a publié, et dont il nous reste à dire quelques mots.

Sous le nom de Lettres et instructions de Louis XVIII au comte de -Saint-Priest, nous avons jusqu’à un certain point l’équivalent des mémoires