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l’ont vu l’aient regretté vivement et nous l’aient souvent représenté comme incomparable, surtout comme le plus amusant des mondes possibles. Cette fameuse parole qu’entendit Charles VII aurait pu retentir justement à Versailles : On ne saurait plus gaiement perdre un royaume.

Aussi, quand on écrit ou lit l’histoire du dernier règne de l’ancienne monarchie, souhaite-t-on la révolution. Elle semble dès-lors apparaître dans l’avenir comme le dénoûment naturel et le légitime résultat ; elle est la moralité de la fable.

Si au contraire on se transporte à l’époque qui l’a immédiatement suivie, alors les promesses de la raison ont été si cruellement déçues, les opinions défigurées par tant de folies, souillées par tant d’excès, de si affreux malheurs ont laissé tant de plaies saignantes, que l’impartialité de l’historien se laisse vaincre à l’indignation, au mépris, à la pitié. Non-seulement on doute des vérités générales, puisqu’elles n’ont servi qu’à exciter des passions et à colorer des crimes, mais on n’ose plus condamner, juger même ceux qu’il a fallu trop plaindre. On se croirait complice des oppresseurs, si l’on était rigoureusement juste pour ceux qu’ils ont accablés, et les malheureux semblent innocens.

Les personnes qui ont traversé la révolution sans être révolutionnaires en sont restées presque toutes à ce point de vue. Elles ne peuvent concevoir ni supporter l’histoire politique de ce temps-là ; elles n’en veulent admettre que l’histoire dramatique.

L’humanité est généreuse, elle fait grace aux vaincus. Ceux-là surtout dont la grandeur, consacrée par le temps, tombe sous le coup d’une calamité soudaine, inspirent une involontaire et noble pitié ; l’effet pathétique de leur destinée émeut l’imagination et le cœur. On est frappé de la souffrance plus que de la leçon, et, quand la violence et l’injustice ont envers eux passé toute mesure, on oublie ce qu’ils avaient mérité. On s’intéresse à eux comme aux héros d’une tragédie, sans plus penser à la justice politique des événemens que ne le fait au théâtre un spectateur attendri.

C’est d’avoir su résister à cette tentation si naturelle que nous louerons M. de Barante. Lui si modéré, lui si peu révolutionnaire de goût ou de conviction, lui qui sait juger les temps et les hommes avec cette sagacité qui, à force de tout comprendre, arrive à la sympathie universelle, il ne s’est pas, en peignant les derniers momens de la vieille monarchie, laissé émouvoir ou séduire. L’impression la plus générale qui résulte de la lecture de son ouvrage, c’est un jugement sévère, encore que juste, sur les hommes de l’ancien régime, et, parmi ces hommes, sur les princes qui sont tombés avec lui. Non-seulement le gouvernement de Versailles, mais ceux en qui se personnifiait ce gouvernement, sont retracés avec une impartialité qui les condamne sans les outrager, avec une justice qui rend en quelque sorte leurs malheurs