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Ore est prêts li repas, et la peine est à fin ;
On festine, à nessun[1] parts ne manque au festin.
Contenté quand on eut et la soif et la faim,
Mesquin[2] prennent hanaps, les emplissent de vin,
Et les font par la droite aller de main en main.
Chantant belle chanson, l’Achéenne jouvente[3]
Tout le jour appaisa du Dieu la male entente,
Du Dieu de longue archie, qui, l’oyants, se contente.


XXXVIII.


Quand jus[4] vint li soleils et que la nuits fut close,
Tout le long des amarres chacuns lors s’endormit.
Mais quand parut au ciel l’aurore aux doigts de rose,
De la grand ost grégeoise le chemin on reprit.
Apollons leur envoie un vent qui leur agrée.
Tôt il ont mat dressé, toile blanche larguée ;
La brise enfle les voiles ; et la vague[5] empourprée
Gronde aux flancs du vaisseau, qui fuit sans arrêtée[6].
Faisants route, la nefs si couroit sur les flots.
Arrivé quand il furent à la grand ost louée,
Haut fut la noire nefs en la plage tirée
Es sables, et en place calée à longs rouleaux ;
Puis il se départirent[7] ès tentes et vaisseaux.


XXXIX.


Ore érageoit, assis près de sa flotte[8] ailée,
Achilles li rapides, li vaillants fils Pélée.
Plus n’alloit aux conseils de la gent honorée[9],
Plus n’alloit à la guerre, se rongeants d’aïrée[10],
Oisifs, mais désirants et bataille et huée[11].
Cependant en l’Olympe, la douzième ajournée[12],
Tout ensemble revinrent li Dieu qui toujours sont,
Et Jupiters en tête. N’oubliants sa pensée,
Thétis saillit, dès l’aube, hors de l’onde azurée

  1. A aucun.
  2. Les jeunes gens.
  3. La jeunesse achéenne. Chron. des ducs de Norm. v. 553 : « Prenoit-on toute la jouvente. »
  4. En bas : quand le soleil descendit.
  5. Roman de Brut : « Vagues crurent et reversèrent. »
  6. Berthe, LXVII : « Se lève li messages, n’y veut faire arrêtée. »
  7. Ce mot avec cette acception est resté dans l’italien. Dante, Inf., XII, 59 : E della schiera tre si dipartiro.
  8. Chron. des ducs de Normandie, v. 1329 : « Cil virent la flotte au rivage. »
  9. Roncisvals, p. 48 : « Franc, dit Roland, bonne gent honorée. » Cette locution de nos vieux poèmes rend exactement le ϰυδιάνειρα (kudianeira) de l’original. Dante a dit aussi, Purg., VIII, 128 : « Che vostra gente onrata non si sfregia. »
  10. Se rongeant d’ire, de colère. Raoul de Cambrai, p. 117 : « Géris lait courre par mont grant aïrée. »
  11. Roncisvals, p. 143 « Lors recommence li cris et la huée. » huée dans nos anciens poèmes est le cri de la bataille.
  12. L’ajournée, c’est la venue du jour. Berthe, LXVIII : « L’endemain à matin, droit après l’ajournée. »