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« Et préparant mon lit et ouvrant[1] toile ourdie.
« Va-t’en et ne m’irrite se[2] tu crains pour ta vie. »


V.


Si dit-il. Li vieillards eut crainte et obéit ;
Le long du flot qui gronde, taisans il se partit[3],
Mais puis mout reclama[4], cheminans solitaire,
Le seigneur cui[5] Latone aux beaux cheveux fut mère :
«  Entend[6]-moi, tu[7] dont l’ares est d’argent, protecteurs
« Et de Chryse et de Cille, à Ténédos seigneurs !
«  Sminthiens[8] ! s’oncque[9] ai mis gracieuse guirlande
«  A ton temple, ou brûlé grasse cuisse en offrande[10]
« De taureaux ou de chèvres, accorde ma demande :
«  Aux Grégeois[11] que tes flèches fassent payer mes pleurs ! »


VI.


Si[12] parla-t-il prians. Apollons l’entendi[13],
Des sommets[14] de l’Olympe courroucés descendi,
Ayans[15] l’arc aux épaules et le carquois empli.
Es-vous[16], au dos s’oyoient[17] les sagettes[18] bruïre
De loin, lui cheminant… Il vient semblans[19] la nuit,
A l’écart des vaisseaux se pose, et puis il tire[20].
L’arcs en argent tinta d’un formidable bruit.
Mulets et chiens rapides prend[21] d’abord à occire ;

  1. Travaillant à. C’est le participe du verbe ouvrer.
  2. Si.
  3. Beaucoup de verbes avaient une double conjugaison, réfléchie ou non réfléchie, tels que se dormir, se partir, se gire. Mime tournure dans l’italien. Dante, Inf., XII, 88 : Tal si parti da cantare alleluia.
  4. Implora. Berthe, XXV : « Dame-Dieu et ses saints doucement reclama. »
  5. A qui. Il est bien entendu que cui se prononce comme qui.
  6. Les secondes personnes du singulier de l’impératif ne prenaient point d’s, attendu qu’elles n’en ont point en latin.
  7. Nous dirions aujourd’hui toi, mais moins régulièrement ; car tu est sujet, et toi est régime.
  8. Un des surnoms d’Apollon.
  9. Si jamais.
  10. Travels of Charl., v. 59 : « Et eut faite s’offrande en l’autel principal. »
  11. C’était dans l’ancien français un des noms des Grecs, conservé encore dans feu grégeois.
  12. Si veut dire ainsi. Dans l’ancien français on écrivait « parla-il ; » mais la prononciation « parla-t-il » est aussi fort ancienne, et je l’ai conservée parce que c’est la nôtre.
  13. Généralement on omettait le t aux troisièmes personnes des prétérits. De cet usage nous n’avons conservé que la suppression du t au prétérit de la première conjugaison parla, aima, etc.
  14. Travels o f Charl., V. 607 : « En sommet celle tour, sur ce pilier de marbre. »
  15. Les participes présens dans l’ancien français sont des adjectifs, et par conséquent s’accordent avec leurs substantifs.
  16. Locution très usitée qui signifie voilà que.
  17. Imparfait du verbe ouïr : s’entendaient.
  18. Flèches. Ce mot est encore dans La Fontaine.
  19. Ressemblant à la nuit.
  20. Je n’ai pas trouvé tirer avec cette acception dans les poèmes anciens que j’ai lus ; mais je le trouve chez Dante, et je pense que cela suffit pour le justifier. Inf., XII, 63 : Se non, l’arco tiro.
  21. Commence par, se met à Roncisvals, p. 6. « Mout doucement le prit à saluer.