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La dîme échelle (le dixième escadron) est des barons de France ;
Dix mille sont à une connoissance (à un même blason),
Corps ont bien faits et fière contenance,
Les chefs fleuris, mainte barbe y ont blance (blanche).


Chose singulière ! l’histoire réelle a offert une fois ce que la légende a rêvé, le spectacle d’une armée de vieillards. La phalange macédonienne, qui avait fait les guerres de Philippe et d’Alexandre, figura encore dans les luttes qui suivirent. Parmi ces vétérans qui n’avaient jamais été vaincus, la plupart avaient soixante-dix ans, aucun n’en avait moins de soixante. A une dernière bataille, ces barons à la barbe fleurie, comme ceux de Charlemagne, se rangèrent au poste le plus dangereux, et, dans une charge décisive, dispersèrent tout ce qui leur était opposé.


IX. – CONCLUSION. – DE L'ARCHAÏSME.

L’érudition, en exhumant des choses oubliées, a soulevé ici, comme en beaucoup d’autres cas, une question et renouvelé un procès qui semblait vidé. L’arrêt de Boileau était adopté et faisait loi universellement. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi, et l’on se demande si notre antiquité doit dater de Villon et du XVIe siècle, ou s’il faut la reporter à l’origine de notre langue et de notre littérature. Les textes abondent chansons de geste, poésies légères, fabliaux, histoires originales ; romans, chroniques, tout se trouve avant l’époque fixée par Boileau. D’autre part, la langue antique n’est nullement le patois grossier et informe que l’on prétendait. Ni l’une ni l’autre ne font honte à l’orgueilleuse descendante qui les dédaigne, et si leur vêture (qu’on me permette ce vieux mot) est simple, même parfois enfantine, ce n’est pas de haillons qu’elles sont couvertes.

Ce cas n’est pas le seul où l’érudition bien conduite ait obtenu d’importans résultats. Il lui est arrivé plus d’une fois de dissiper des préjugés, d’exhumer des vérités oubliées et de trouver des démonstrations auxquelles on ne serait arrivé par aucune autre voie. Grace à elle, il commence à s’établir que nous avons aussi un passé littéraire et que l’arrêt porté au XVIIe siècle est à réviser. C’est certainement un notable triomphe que d’avoir ainsi ébranlé des opinions qui paraissaient fixées irrévocablement. On aurait tort de penser que cette étude des débris de l’antiquité, des vieux textes et des vieux monumens, soit stérile et sans portée ; elle a une action sur les intelligences, elle les modifie, et coopère aussi pour sa part aux mutations successives qui affectent les sociétés. Voir le passé sous un plus véritable jour importe grandement à l’intelligence que l’on a du présent et à l’usage qu’on en fait.

Un penchant naturel conduit l’homme à la contemplation du passé.