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eu production spontanée de toutes ces choses qui, pour l’antiquité, sont reculées hors de la portée de notre vue. C’est là qu’on doit demander des renseignemens sur la part que prennent, dans ce travail, les aptitudes naturelles de l’esprit humain, sur celle qui appartient aux conditions de l’époque, et sur celle enfin qui est du fait de l’âge antécédent. Après l’examen soigneux du grand avènement des langues et des littératures néolatines, on peut partir de ces données comme d’une base solide pour étudier la formation plus inconnue des langues et des littératures classiques. Cette manière de procéder rétrécit grandement le champ des hypothèses, et, dans une comparaison historique bien menée, la lumière ne manque jamais de se refléter des deux côtés.

Je l’ai déjà dit, le grand intérêt n’est pas à la renaissance, vers laquelle se sont détournés nos préjugés classiques, il est à l’origine de toutes les choses modernes, dans cette immense rénovation qui succéda à une ruine immense. C’est alors qu’apparurent tant de véritables créations : c’est alors, pour me tenir dans mon sujet, que les langues et les poésies modernes vinrent remplacer les langues et les poésies de l’antiquité détruite. Le vieil arbre reçut une greffe qui bientôt l’ombragea de rameaux vigoureux. Les hommes de Rome et de la Grèce n’ont pu (tant pour eux l’histoire était courte) se douter qu’il en dût jamais être ainsi ; mais nous, dont désormais le regard plonge dans un passé plus profond, nous apercevons l’arbre tout entier chargé, comme celui de Virgile, d’un feuillage nouveau et de fruits qui ne sont pas les siens : Novas frondes et non-sua poma.

Comme la légende de la guerre de Troie est à l’origine de toute la poésie antique, même de la poésie latine, de même ici la légende du grand empereur de l’Occident inspire tous les récits. Le souvenir s’en était surtout fixé alors que, parvenu au plus haut point de sa puissance et couronné à Rome, il approchait du terme de sa vie. Aussi est-il représenté d’ordinaire, même au plus fort de ses expéditions, comme un vieillard à la barbe blanche ; mais c’est le vieux guerrier de Byron, aux membres de fer, avec qui peu de jeunes gens pourraient lutter :

Though aged, he was so iron of limb
Few of our youth could cope with him.


Par une conséquence toute naturelle, la troupe d’élite qui l’accompagnait était composée de barons à la tête blanche et à la barbe fleurie, comme disent les chansons de geste. Au milieu des Normands, des Bretons, des Flamands, des Lorrains, des Allemands, qui composaient l’armée de Charlemagne, ceux-là étaient particulièrement les guerriers de France :