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resté grand’mère, et dans le style de l’ancienne chancellerie lettres royaux.

L’article peut se supprimer quand l’objet est suffisamment déterminé. Dans ces vers :

Quand François voient venir leurs ennemis,
Par la Dieu grâce, qui en la croix fut mis,
Fut châcuns preux, courageux et hardis ;


le mot François n’a pas d’article et peut s’en passer. Il en est de même du mot soleil ici :

Contre soleil flamboie ses écus (son écu).


On peut encore, dans l’ancien français, supprimer la conjonction que, et dire aussi bien je veux vous alliez que je veux que vous alliez. De la même façon, on supprime le qui relatif, et l’on dit comme dans ce vers :

N’en y a un tout seul n’ait la table quittée.


pour qui n’ait quitté la table. Enfin il n’est pas jusqu’à la préposition à qui ne puisse se sous-entendre, et cela sans dommage pour le sens ; en voici un exemple entre mille :

Mandez Charlon l’orgueilleux et le fier
Foi et salut par votre messager.

Ce sont là les différences principales qui séparent le français ancien du français moderne. C’est une grammaire, on le voit, bientôt apprise. Et de fait, l’erreur est grande de regarder le vieux français comme une langue morte ; il n’en est rien ; la plus grande partie en vit encore au milieu de nous, et rien n’est plus facile pour un Français d’aujourd’hui que de se rendre maître du français du XIIIe siècle. Tout est connu d’avance : le plus grand nombre des mots et l’esprit de la syntaxe. Sans doute il faut faire un apprentissage, mais cet apprentissage est court et n’a rien qui se puisse comparer à l’étude d’une langue étrangère.

Dans cet exercice se présente tout d’abord une difficulté notable, c’est le dédain de l’oreille pour les formes qui ne lui sont pas familières. Nous disons tristesse ; tristeur de l’ancien français nous choquera. Nous sommes accoutumés à folie, folage nous paraîtra barbare. Nous employons enfreindre et retentir ; mais freindre et tentir nous effarouchent. Cependant en soi ces formes n’ont rien qui les doive faire rejeter, et elles sont aussi correctes que celles qui ont prévalu. Un peu de lecture surmonte bientôt cette première impression, et, en y gagnant de juger dès-lors sans prévention les textes anciens, on y gagne de juger aussi la langue moderne et de s’élever au-dessus de ses exclusions, de ses caprices et de ses habitudes.