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deux façons, sans qu’il y ait aucune amphibologie : li homs mène le cheval ou le cheval mène li homs ; de même au pluriel, les hommes mènent les chevaux se dira : li homme mènent les chevals (prononcez chevaux) ou les chevals mènent li homme. On remarquera que le mot homs, avec sa forme de sujet, nous est resté dans la particule on : on dit, on vient, etc. Cette existence d’un signe pour le régime a permis de rendre, comme en latin, la possession par un cas, c’est-à-dire sans intermédiaire de préposition : ainsi la fille du roi, filia regis, peut se dire, dans l’ancien français, la fille le roi. Quand Berthe dit :

Fille sui le roi Flore, qui tant fait à louer,


cela signifie : Je suis la fille du roi Flore, car l’absence de l’s au mot roi indique qu’il est dans le rapport de régime avec le mot fille. Il nous reste de cette construction l’hôtel-Dieu, qui signifie l’hôtel de Dieu, et de par le roi, qui signifie de la part du roi. Beaucoup de choses dans la langue moderne sont un débris de la syntaxe ancienne, et ne peuvent s’expliquer que par là.

Cette manière de construire deux noms ensemble permet d’en renverser la position, et de dire aussi bien Dieu-hôtel que hôtel-Dieu. Cette construction existe dans l’anglais ; elle peut y être venue soit du français par la conquête des Normands, soit de l’allemand, qui a aussi cette tournure. Dans ce vers :

Belle Idoine se sied dessous la verd olive
En son père verger…


les derniers mots signifient : le verger de son père ; et dans cet autre vers :

Cest premier coup sont nostre, Dieu aïe,


cela veut dire : ces premiers coups sont nôtres par l’aide de Dieu.

L’influence du latin se fait sentir d’un autre côté, à savoir dans la suppression des pronoms personnels, je, tu, vous, il, etc. Cette suppression, qui est facultative et non obligatoire, allége beaucoup la phrase et ne jette aucune obscurité, car le pronom peut reparaître dès que le sens l’exige. Il faut à ce sujet noter une irrégularité du français moderne que n’a pas l’ancien : nous disons moi qui parle, toi qui veux, lui qui vient, eux qui demandent ; moi, toi, lui, eux, sont des formes de régimes employés ici comme sujets. Le vieux français ne commet pas cette faute, et dit : je, qui parle ; toi, qui veux ; il, qui vient ; ils, qui demandent.

Les adjectifs qui, en latin, ont une seule terminaison pour le masculin et le féminin, présentent dans l’ancien français cette particularité, que la terminaison est la même pour les deux genres. Il nous en est