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leur temps leur grande gloire, de même ils pourraient encore être utilement employés. C’est surtout à des traductions d’ouvrages anciens qu’ils sont applicables. Courier s’est servi de la langue du XVIe siècle, qu’il possédait si bien, pour traduire Hérodote, dont la prose a de nombreuses ressemblances avec celle de nos prosateurs de ce temps, et je me couvre de son exemple et de sa protection pour cet essai, qui relève doublement de l’érudition, puisque le grec et le vieux français y interviennent.


II. – DE LA LANGUE DU XIIIe SIECLE ET DES FACILITES QU’ELLE OFFRE POUR LA TRADUCTION D’HOMERE.

« Le talent, a-t-on dit[1], n’est pas tout pour réussir dans une traduction ; les œuvres de ce genre ont d’ordinaire leur siècle d’à-propos, qui, une fois passé, revient bien rarement. A un certain âge de leur développement respectif, deux langues (j’entends celles de deux peuples civilisés) se répondent par des caractères analogues, et cette ressemblance des idiomes est la première condition du succès pour quiconque essaie de traduire un écrivain vraiment original. Le génie même n’y saurait suppléer. S’il en est ainsi, on nous demandera à quelle époque de son histoire, déjà ancienne, notre langue fut digne de reproduire Homère. Nous répondons sans hésiter, comme sans prétendre au paradoxe : Si la connaissance du grec eût été plus répandue en Occident durant le moyen-âge, et qu’il se fût trouvé au XIIIe ou au XIVe siècle en France un poète capable de comprendre les chants du vieux rapsode ionien et assez courageux pour les traduire, nous aurions aujourd’hui de l’Iliade et de l’Odyssée la copie la plus conforme au génie de l’antiquité. L’héroïsme chevaleresque, semblable par tant de traits à celui des héros d’Homère, s’était fait une langue à son image, langue déjà riche, harmonieuse, éminemment descriptive, s’il n’y manquait l’empreinte d’une imagination puissante et hardie. On le voit bien aujourd’hui par ces nombreuses chansons de geste qui sortent de la poussière de nos bibliothèques : c’est le même ton de narration sincère, la même foi dans un merveilleux qui n’a rien d’artificiel, la même curiosité de détails pittoresques ; des aventures étranges, de grands faits d’armes longuement racontés, peu ou point de tactique sérieuse, mais une grande puissance de courage personnel, une sorte d’affection fraternelle pour le cheval, compagnon du guerrier, le goût des belles armures, la passion des conquêtes, la passion moins noble du butin et du pillage, l’exercice généreux de l’hospitalité, le respect pour la femme, tempérant la rudesse de ces mœurs barbares ; telles sont les mœurs vraiment épiques auxquelles il n’a manqué que le pinceau d’un Homère. »

  1. M. Egger, dans un écrit sur les traductions d’Homère.