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aux anciens ; le caractère du style littéraire s’est modifié, même le caractère de la conversation, comme le montrent tant de pages familières et charmantes qui nous ont été conservées.

L’état de la société et de la littérature, aussi bien que la force des choses, tout témoigne que ce changement ira croissant. Or, dans cette mutation, le régime auquel la langue est assujettie ne lui est pas salutaire. Ce régime est celui de la métaphysique et de la raideur grammaticales ; la métaphysique, qui substitue des idées purement logiques à l’observation des faits et à l’induction fournie par ces faits ; la raideur, qui, par un assujettissement judaïque aux formes et par la destruction de toute liberté archaïque, oblige la pensée à perdre de sa précision, de sa rapidité, de sa couleur. On sent bien vite ce qu’est la métaphysique et la raideur en fait de langage, quand on compare le style de notre époque avec celui du XVIe siècle et des époques précédentes. Notre histoire présente deux exemples d’insurrection contre la langue : le premier appartient au XVIe siècle, quand une folle imitation des Grecs et des Latins s’empara des esprits ; le succès de la tentative ne fut pas heureux. Le second est de notre temps ; ce fut lorsque Racine, en sa qualité de type de correction et de régularité, fut frappé de condamnation. Ce dernier essai, mieux conduit et arrivant à point dans une époque de révolution et d’anarchie mentales, eut, comme toute idée critique et négative, l’action d’un dissolvant ; et la vieille autorité littéraire acheva de se fondre sous nos yeux. Malgré tout, l’axiome de Boileau restera vrai ; mais il s’agirait de définir ce que l’on doit entendre par langue, et en attendant qu’une convention nouvelle, analogue à celle du XVIIe siècle, vienne régler derechef, pour un temps plus ou moins long, les rapports littéraires, cette expression prend une tout autre extension du moment que l’on considère à la fois les changemens nécessaires qui travaillent notre idiome et les phases qu’il a parcourues, c’est-à-dire son avenir et son passé.

Ici il ne s’agit que de son passé. Les Grecs ne se sont jamais imaginé que la langue de leur vieux poète Homère fût une langue barbare, comparée à celle qui prévalut au siècle de Périclès et au temps de leurs grands poètes tragiques et comiques, de leurs excellens historiens, au temps de leurs Demosthène et de leurs Platon ; mais ce préjugé s’est attaché à nous, et notre idiome du moyen-âge a été considéré comme un patois informe. On s’est figuré que tous les points par lesquels il différait de la langue actuelle n’étaient que fautes et grossièretés. Cependant il faut s’expliquer sur cette accusation de barbarie. Si l’on prétend que le français actuel, cultivé par une série d’esprits éminens, s’est montré propre à exprimer l’art élégant et sérieux du XVIIe siècle, l’art critique et brillant du XVIIIe, et la raison mûrie par les progrès des sciences et les révolutions sociales, si l’on ajoute que sans doute le français