Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Homère, et, si de ses personnages il a fait des Français, qu’en pouvait-il faire autre chose à son époque et devant son public ? A la vérité, aujourd’hui une notion plus juste de l’histoire permet à l’art d’être plus fidèle au costume ; mais pourtant qu’on ne se méprenne point sur ce point : la condition essentielle de son succès demeure toujours dans l’habileté à s’adresser aux sentimens, aux idées, aux passions des contemporains.

A l’histoire littéraire la langue est liée d’une manière étroite, surtout depuis que le seul français légal est celui des livres et des académies, et que le peuple, créateur de l’idiome, est mis hors de cause. Sans doute, c’est encore l’usage que l’on consulte ; mais cela même est bien vague. Où en mettra-t-on les limites ? que doit-on admettre ? que doit-on rejeter ? Au moment où se fixa définitivement la langue dont nous nous servons aujourd’hui, l’usage fut pris dans un sens très étroit ; ce fut le beau monde, la cour, les cotteries lettrées qui en décidèrent, et l’Académie, récemment instituée, l’enregistra avec tant d’arbitraire, qu’une foule de locutions excellentes, employées par Malherbe, par Corneille, par Molière, se sont trouvées mises en dehors et proscrites. Certes, ces grands hommes avaient parlé aussi bon français que ceux qui les condamnaient ; mais leur français, plus général et plus compréhensif, était puisé à une source plus abondante que celle qui fournit le premier dictionnaire de l’Académie. Aujourd’hui encore, il n’est besoin que d’écouter parler sans prévention les personnes illettrées, surtout dans certaines provinces, pour reconnaître, dans les mots, dans les locutions, dans la prononciation, des particularités tout aussi légitimes et souvent bien plus élégantes, énergiques et commodes que dans l’idiome officiel. De quel droit cela est-il rejeté ? Par la grammaire ? Mais la régularité en est parfaite. Par l’histoire ? Mais toutes viennent d’un passé lointain, et la plupart figurent dans les anciens monumens. Par l’usage ? Mais qu’est-ce que l’usage, sinon la tradition non interrompue ? On voit donc que la difficulté fut tranchée par un coup d’état et que la question est encore à examiner. Cela peut être dit à notre époque, où la convention qui régla les choses littéraires aux XVIIe et XVIIIe siècles n’est plus reconnue, et où la langue officielle est en ruine.

D’ailleurs il est une autre notion qui ne doit pas être perdue de vue, c’est que la condition nécessaire des sociétés humaines et de tout ce qui leur appartient est de passer par des successions et des rénovations continuelles. Les langues n’échappent pas à cette nécessité. La nôtre, qui compte environ aujourd’hui sept cents ans d’existence, en offre d’âge en âge la preuve manifeste ; malgré la prépondérance justement acquise à la littérature du XVIIe siècle, malgré les moyens, qu’on peut appeler coercitifs, destinés à la maintenir, elle change de jour en jour. De nouveaux mots se sont introduits, de nouvelles significations ont été imposées