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Bien qu’on ait commencé à étudier de plus près notre histoire littéraire, et que dans ces derniers temps elle ait été l’objet de travaux excellens, néanmoins les conclusions qui résultent de ces nouvelles recherches n’ont guère franchi le cercle de l’érudition, et en général le jugement étrange prononcé par Boileau demeure l’opinion commune. Non, Villon ne fut pas celui de qui doive dater notre littérature ; l’art de nos vieux romanciers n’était pas confus, et il est certainement singulier de donner la qualification de grossiers à des siècles qui ont produit Charles d’Orléans, Froissart, Joinville, Villehardouin, les chansons du sire de Couci, le poème de Roncevaux et tant d’autres. Ce qui causa l’illusion de Boileau outre son ignorance profonde, ce qui cause encore aujourd’hui une illusion semblable, c’est la renaissance, qui vint troubler le courant naturel de la littérature française. Par le contre-sens historique le plus complet, on a soudé l’histoire littéraire de la France moderne à l’histoire littéraire de Rome et de la Grèce, et, d’un seul coup, on supprime un passé qui, ne fût-il pas aussi riche qu’il l’est, mériterait cependant considération et étude. Dans cette manière de voir, la littérature française du moyen-âge est, qu’on me pardonne cette expression, une impasse qui n’aboutit à rien ; et en compensation on met bout à bout, sans aucun intermédiaire, l’antiquité classique et la France moderne. Certes il est difficile de mieux confondre et brouiller les choses et de rendre plus inintelligibles toutes les déductions historiques ; la vérité est que, du conflit de ces deux forces, naquit une direction moyenne. Ce serait un sujet à la fois littéraire et philosophique, que de rechercher quels ont été les effets réels de cette combinaison de deux élémens indépendans, quel bien en a résulté, quel mal en est sorti, et quel a été le caractère du produit hybride qui vint au jour. Ce fut une véritable invasion, qui d’abord emporta tout, et les premiers effets en furent désastreux. Tout ce qui compose plus spécialement le domaine des arts de l’imagination en fut profondément corrompu. Il n’est besoin que de rappeler cette gloire éphémère des Ronsard et des autres pour faire sentir immédiatement que ce qu’il y avait de talent en eux fut frappé d’impuissance et de ridicule par le souffle de la renaissance. Qui pourrait nier que parmi ces hommes, dont le discrédit est irrémédiable, il n’y ait eu les dispositions les plus heureuses et des aptitudes qui, dans un autre milieu, auraient donné les fruits les plus beaux ? Qui ne sait aussi, grace aux essais de réhabilitation d’un ingénieux critique, que quelques fleurs gracieuses sont écloses sous leur main, que leur génie ne fut pas en perpétuelle discordance entre les idées et les langues antiques qu’ils voulaient s’approprier et l’idiome et les traditions qu’ils avaient reçus de leurs pères ? Il n’y eut contre le courant dévastateur de résistance que parmi les hommes qui étaient en dehors du cercle littéraire, les libres penseurs tels que Rabelais