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de nombreuses adresses par l’entremise des municipalités, les conseils communaux délibérer avec une courageuse fermeté et voter des fonds pour l’armement des gardes nationales, les corps religieux s’associer à ces subsides patriotiques, et tout cela sans fracas, sans fanfaronnades. En Toscane, et surtout à Pise, ville d’université et de mouvement, le sentiment national s’exprime d’une manière plus bruyante ; nous espérons pourtant qu’on n’y serait pas moins ferme au jour du danger, et que, si deux bataillons de Croates venaient occuper la ville de Lucques, les remuans écoliers de Pise sauraient garder, à trois lieues des avant-postes autrichiens, la contenance digne et calme de Bologne. Dieu veuille qu’ils ne soient pas bientôt mis à l’épreuve, et que la petite révolution qui vient d’éclater à Lucques n’attire pas de ce côté l’orage conjuré en Romagne ! L’Autriche est entrée à Ferrare en pleine paix et sans motif plausible ; fera-t-elle la sourde oreille, si l’infant Charles de Bourbon l’appelle dans sa principauté au secours de ses droits imprescriptibles ? Le duc de Modène annonce, dans une proclamation à ses sujets, l’arrivée prochaine des troupes autrichiennes dans ses états. Ce fait est grave. Modène est une excellente position stratégique. De là un corps d’armée intercepte la route de Parme et celle du Piémont, surveille de près Bologne et commande l’entrée des montagnes de Lucques. De ce centre d’opérations, les Autrichiens peuvent avec rapidité porter des corps de troupes partout où le besoin de leur présence se ferait sentir.

La loyauté de caractère du grand-duc de Toscane ne permet pas de supposer qu’il recherchât contre ses sujets l’appui armé de l’Autriche. Quant au prince régnant de Lucques, il est loin d’inspirer la même confiance. Don Charles-Ludovic de Bourbon, infant d’Espagne, est, comme on sait, possesseur à titre provisoire de la principauté de Lucques jusqu’au jour où la mort de l’ex-impératrice Marie-Louise le mettra en possession du duché de Parme, qui lui est dévolu par le traité de Vienne. À cette époque, Lucques et ses dépendances seront réunies à la Toscane. En attendant, le duc Charles-Ludovic en use en véritable usufruitier, tirant le plus d’argent qu’il peut de son petit état, s’endettant par-dessus le marché (le déficit dans son budget s’est élevé cette année à plus de 100 mille écus), si bien que, pour mettre la fortune publique de la principauté à l’abri du naufrage, le grand-duc de Toscane a conclu avec lui, il y a quelques mois, une convention douanière par laquelle il afferme, pour son propre compte, tous les impôts indirects du duché : le sel, le tabac, les cartes à jouer, la loterie, moyennant une somme annuelle. Non content de pressurer ses sujets, le duc de Lucques s’amuse aussi à jouer au tyran. Il affecte volontiers les façons despotiques, secondé en cela par l’humeur intempérante du prince héréditaire son fils, qui s’est à la fois constitué grand juge, commissaire de police et sbire dans la principauté, qui saisit au collet en pleine place publique et dans les cafés les gens mal pensans de l’endroit et les escorte lui-même jusqu’à la prison. Tout cela pourrait, en d’autres temps, n’être que risible et pitoyable ; mais de semblables folies finissent par lasser les plus patiens. Le mouvement populaire qui a failli briser les Bourbons de Lucques n’a surpris personne en Italie. On s’est même étonné qu’il n’eût pas éclaté plus tôt, car, depuis deux mois, la conduite du souverain semblait calculée pour provoquer une révolte chez ses sujets. Dans les premiers jours du mois de juillet, un rassemblement de jeunes gens inoffensifs se vit inopinément chargé et sabré par les carabiniers. C’était à l’époque des