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bill des pauvres. Avant même que le bill y fût introduit, il avait commencé l’attaque à l’aide d’une de ces motions nominales qu’on fait en Angleterre pour soulever une discussion. Le bill rencontrait dans la chambre haute très peu de sympathies. Lord Lansdowne, qui le présentait, reconnaissait lui-même que la clause principale était une expérience hasardeuse et dangereuse. Lord Brougham déclarait que c’était la proposition la plus alarmante qu’il eût de sa vie vu faire dans le parlement ; mais de toutes les prédictions, de toutes les réprobations dont cette loi fut l’objet, les plus sinistres et les plus éloquentes furent celles de l’archevêque de Dublin.

Le docteur Whately est le prélat le plus libéral peut-être de l’église anglicane, et regardé dans le clergé comme un philosophe. C’est, dans tous les cas, un des hommes les plus éminens de son pays, et il s’est fait connaître par ses écrits plus encore que par ses discours. L’opinion d’un tel homme emporte nécessairement avec elle une grande autorité. Eh bien ! nous n’avons jamais lu dans aucun livre un jugement plus accablant pour le peuple d’Irlande et pour l’Angleterre maîtresse de ce peuple que celui qu’en porta dans la chambre des lords l’archevêque de Dublin. Ainsi, on disait en Angleterre que les propriétaires irlandais, se voyant forcés de nourrir les pauvres, même dans l’inaction, aimeraient mieux les utiliser et leur donner du travail. A cela l’archevêque répondait que les pauvres, certains désormais de ne pas mourir de faim, refuseraient de travailler. Compter qu’ils chercheraient du travail, il déclarait que c’était « l’idée la plus chimérique qu’il y eût au monde. »


« Je parle, disait-il, d’après ma propre expérience. Je suis habitué à étudier soigneusement l’ouvrier irlandais ; j’ai toujours trouvé que, s’il sait que son emploi dépend de ses efforts et de sa bonne conduite, il travaillera volontiers pour une très maigre pitance. L’irlandais est accoutumé à un travail dur ; il est toujours sur le bord de la ruine, et se contente purement et simplement de la mesure nécessaire pour vivre. Donnez-la-lui, il ne travaillera pas du tout, et ses habitudes d’industrie seront détruites pour toujours. L’ouvrier anglais est accoutumé à un mode d’existence plus relevé. Outre le nécessaire, il possède aussi quelque peu de superflu. Il a une habitation décente, il est bien vêtu, sa femme et ses enfans ont des dehors convenables, son cottage a même parfois quelques objets d’ornement. Donner à cet homme le simple nécessaire dans un temps de calamité publique n’aurait aucun danger, parce qu’il serait toujours désireux et empressé de retourner à sa condition antérieure ; mais, pour l’ouvrier irlandais, un pareil état de choses serait du luxe. »


L’archevêque de Dublin prédisait donc que le nombre des pauvres ne ferait qu’augmenter. Les forcer à travailler, c’était une tentative inutile, dans tous les cas dangereuse. Les inspecteurs n’oseraient pas refuser des secours à ceux qui les demanderaient, ou bien ils seraient