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revenu de plus de 150 livres paie la taxe du revenu comme nous. Avec l’aide de Dieu, nous verrons de quoi sont faits ces messieurs. S’ils nous menacent du rappel, eh bien ! nous le leur donnerons. Qu’est-il devenu, ce rappel, depuis qu’une calamité réelle a frappé le pays ? Vit-on jamais pareil spectacle ? Dans les temps prospères, ces gens-là étaient tous pour le rappel, tous pour le Celte contre le Saxon. Il a plu à Dieu de leur envoyer la famine. Aussitôt, voilà tous ces braillards réduits au silence ; tous ces bavards rampans ont le corps et l’esprit terrassés, anéantis. Ils n’ont rien à proposer, mais ils ont tout à demander. Tous les membres de leur corps sont complètement inertes et inutiles, excepté leur langue, et avec cette langue ils crient : Encore ! encore ! encore ! L’insulteur du Saxon et l’avocat du Celte est rentré dans son coin, d’où l’on n’entend sortir qu’une voix suppliante demandant du secours. Voilà vos rappeleurs ! Tournez-vous maintenant vers l’Angleterre, qu’y verrez-vous ? Une nation brave supportant bravement ses maux, et dont le courage commande la sympathie… Il est venu chez moi l’autre jour deux prêtres catholiques arrivant d’Irlande en députation. La première chose qu’ils m’ont dite est ceci : « Monsieur, ne croyez pas que les membres de la chambre qui y viennent d’Irlande y représentent réellement l’Irlande. Ils n’en représentent que les propriétaires. Eh bien ! nous, les prêtres, qui sommes du peuple, qui connaissons ses sentimens, qui vivons avec lui, nous sommes envoyés ici pour vous dire de sa part : Ne croyez pas un mot de ce qui vous sera dit dans la chambre des communes par les députés de l’Irlande. »

« … On dit que les propriétaires d’Irlande ont beaucoup d’influence sur le gouvernement, car ce sont eux qui dominent dans la composition du cabinet. Est-il nécessaire de les nommer ? Je pourrais vous citer le marquis de Lansdowne, le marquis de Clanricarde, tous deux dans le cabinet, sans compter lord Monteagle, qui n’y est pas, mais qui voudrait bien y être, et qui cogne à la porte. Je pourrais citer un noble lord qui agite l’Europe dans ses fondemens, lord Palmerston. Je pourrais nommer aussi le duc de Devonshire, et un autre noble lord qui, pour ne pas être dans le cabinet, est un des magnats du pays, le comte Fitz-William ; mais il y a quelqu’un de plus puissant encore que lord Fitz-William, c’est le peuple d’Angleterre… Je pourrais en nommer bien d’autres. Nous avons là de grands lords, de grands propriétaires d’Irlande, qui, à la face du peuple d’Angleterre, ont constitué un ministère exclusif à leur profit. Le reste du cabinet, je le respecte beaucoup, mais ce sont des zéros dans cette question. J’ai toujours regardé lord John Russell comme un homme brave : c’est la particularité de son caractère que j’aime le plus ; mais je puis lui dire que, s’il ne présente pas un bill des pauvres avec ses autres bills, l’Angleterre les rejettera tous en masse… Quand sir Robert Peel a présenté l’income-tax avec son perpétuel sourire, ce devait être pour trois ans ; mais il savait bien que ce serait pour toujours. Mon Dieu ! ce n’est pas la peine de nier, nous savons tous très bien que nous la paierons jusqu’à la fin de nos jours. Il n’y a pas un des plus jeunes membres de cette chambre (et il y en a beaucoup de trop jeunes pour y être), qui ne soit sûr de mourir en la payant. Il faut que les Irlandais goûtent une bonne fois de ce qu’ils ne connaissent pas, les plaisirs de l’indépendance. Voyez un peu ce qui arrivera. Après avoir nourri les Irlandais en 1847, il faudra les nourrir en 1848 ; mais supposez que nous ayons une mauvaise récolte, où