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aux propriétaire irlandais à se passer du gouvernement. Soyons justes, soyons libéraux à leur égard ; mais, qu’on en soit bien sûr, ce serait paralyser leurs propres efforts que de leur apprendre à compter sur le gouvernement. »

On ne peut s’empêcher de remarquer ici combien lord John Russell et sir Robert Peel, les hommes les plus modérés et les plus éclairés, raisonnaient, en parlant de l’Irlande, d’un point de vue exclusivement anglais. En Angleterre, en effet, l’état n’est rien ou presque rien ; c’est un pays où la centralisation est l’objet d’une antipathie invincible. La grandeur, la richesse, la prospérité de la nation, sont l’œuvre du travail privé, du courage privé, de la persévérance et de l’industrie privées. Toutes les grandes choses en Angleterre sont accomplies soit par des particuliers, soit par des associations, depuis l’éducation du peuple jusqu’à l’émancipation des esclaves et l’affranchissement du commerce. Nous ne voulons point discuter ici les inconvéniens ou les avantages de la centralisation ; ce n’est pas une affaire de système, mais une affaire de mœurs. En France, on ne conçoit rien sans l’intervention de l’état ; en Angleterre, quiconque proposerait de faire exécuter les chemins de fer par l’état serait pourvu d’un conseil de famille. Ce n’est pas avec des lois qu’on corrige des habitudes nationales ; aussi tous les raisonnemens des économistes anglais, les appels qu’ils faisaient au zèle privé, à l’industrie privée, pouvaient être fort justes, mais ils avaient le tort de s’adresser à des Irlandais. Le gouvernement anglais fut ainsi conduit à abandonner une des parties les plus importantes de son plan, celle qui concernait l’appropriation par l’état des terres en friche. Quelques sarcasmes assez mal placés de sir Robert Peel suffirent pour lui faire docilement courber la tête. Ce fut une des grandes fautes de la session. Ce qui manque, en effet, à l’Irlande, et ce que le gouvernement anglais devait s’efforcer d’y créer, c’est une classe moyenne de propriétaires, une classe intermédiaire entre le landlord endetté et le petit fermier ruiné. Or, il ne pouvait arriver à ce but que par le recouvrement de la répartition des terres abandonnées. Dans le projet général, il proposait soit d’acheter à l’amiable, soit d’enlever légalement aux landlords toutes les terres qui ne rendraient pas plus de 2 shellings et demi par acre. Ces terres, devenues propriétés de l’état, divisées en lots et affermées ou vendues, auraient insensiblement amené la formation d’une classe nouvelle de cultivateurs et la création d’un élément nouveau dans la société irlandaise. C’était toute une révolution ; le gouvernement anglais n’osa pas l’entreprendre. Il la conçut un moment, il en dressa la théorie ; mais, quand il fallut en venir à l’exécution, il recula. Ce fut une des plus grandes parmi les nombreuses preuves de faiblesse qu’il donna dans le cours de la dernière législature.

Le bill de secours pour les indigens (destitute relief bill), c’est-à-dire