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paroisse, on en perdait la trace, et on se trouvait au milieu d’une légion d’exploitateurs de la terre qui se renvoyaient de l’un à l’autre cette responsabilité écrasante.

Il fallait donc opérer une révolution dans cette condition de la propriété, pour arriver à l’établissement régulier d’une loi des pauvres comme en Angleterre et en Écosse, et c’était la perspective de cette loi qui dominait tout le projet du gouvernement, qui en était, comme nous l’avons dit, le couronnement. L’état disait aux propriétaires « Nous vous prêterons de l’argent pour vous aider à cultiver vos terres, nous vous autoriserons à en vendre une partie pour que vous puissiez garder le reste ; en un mot, nous tâcherons de faire de vous ce que vous n’êtes pas, c’est-à-dire des propriétaires réels et non plus des simulacres de propriétaires. De votre côté, par votre zèle, par votre travail, par le retour à l’ordre, à l’économie, vous répondrez aux sacrifices que le public fait pour vous ; en recouvrant la propriété, vous en accepterez les devoirs. Nous élèverons les propriétaires de l’Irlande à l’état de ceux de l’Angleterre et de l’Écosse, mais à la condition que, comme ceux-ci, ils se chargeront de l’entretien légal et régulier des pauvres. »

En terminant l’exposé des plans du gouvernement, lord John Russell faisait appel à la coopération de toutes les classes, et il disait :

« Je ne suis pas de ceux qui croient qu’il suffit d’un gouvernement bienfaisant pour rendre un pays florissant. Il y a des choses que la couronne ne peut accorder, que le parlement ne peut ordonner : c’est la confiance en soi-même et l’esprit de coopération. Je dois dire franchement qu’en vérité je désespérerais de cette tâche, si je ne voyais pas dans le peuple d’Irlande des symptômes de plus de confiance dans sa propre énergie et ses propres ressources, et d’une plus grande disposition à s’aider mutuellement. S’il veut regarder l’Angleterre et l’Écosse, et voir ce que peuvent faire l’industrie et la persévérance ; s’il veut se mettre courageusement à l’œuvre, il a des ressources qui le tireront victorieusement de sa condition présente. Le sol est fertile ; il a fait l’admiration des étrangers et des voyageurs de toutes les nations. Le peuple est fort et industrieux, car ce même homme qui erre dans l’inertie et l’oisiveté sur les montagnes du Tipperary, qui se borne à cultiver pendant quelques jours son misérable lot de pommes de terre, qui avec ses gages et avec son porc a pu payer sa rente et gagner sa triste existence, il a peut-être un frère à Liverpool ou à Glasgow, ou à Londres, qui, à la sueur de son front, fait du matin au soir concurrence aux plus robustes travailleurs de l’Angleterre et de l’Écosse, et gagne des salaires égaux aux leurs. Sans doute, il y a de grands maux ; il y a eu de grandes fautes. Heureux si nous pouvons jeter les fondemens d’un avenir meilleur ; bienheureux les Irlandais, s’ils prennent pour maxime : Aide-toi, le ciel t’aidera. Et alors nous pourrons dire enfin que l’adversité a aussi ses avantages ! »

Les projets du gouvernement furent diversement accueillis. Les Irlandais acceptèrent avec empressement, sinon avec reconnaissance, les