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au moment même où les Anglais supputaient les sommes que leur avait déjà coûtées la famine de leurs voisins. M. Roebuck se leva et commença la série de ces tirades sanglantes qu’il renouvela si souvent dans la suite.


« Je sais bien, s’écria-t-il, quels mendians nous allons voir arriver d’Irlande. Je dis le mot. Je m’attends à toutes les criailleries ; mais je dirai mon opinion. C’est mon devoir envers le peuple d’Angleterre, que je représente. Je dis que ce n’est pas au peuple d’Angleterre à entretenir le peuple d’Irlande. Et maintenant, un mot aux landlords. Il y a trois cents ans que le parlement anglais fait des lois à leur profit contre le peuple d’Irlande, et qu’il leur permet de faire leurs affaires particulières à ses dépens… Le parlement n’a rien fait pour le peuple. Pour les landlords, il a créé toutes sortes de privilèges. Eh bien ! ils en ont usée et abusé ; ils ont réduit le peuple au paupérisme, et maintenant, après trois cents ans de législation à leur profit, ils s’en viennent demander à l’Angleterre, non-seulement de les soutenir, mais d’entretenir les pauvres qu’ils ont faits. Or, je dis, et je m’adresse ici aux représentans anglais, je dis que notre devoir est de forcer la terre de l’Irlande à nourrir les pauvres de l’Irlande. Nous allons remanier la loi des pauvres d’Angleterre. Eh bien ! je demande pour l’Irlande l’égalité. Je demande seulement que, dans la loi des pauvres, à ces mots : « En Angleterre et en Écosse, » on ajoute simplement ceci : « et en Irlande. » Rien de plus. Je ne demande que des lois égales ; mais je ne voterai point pour des mesures qui auront simplement pour objet de taxer le peuple laborieux, industrieux, pacifique et régulier de l’Angleterre, au profit de cette anarchie qui règne dans ce royaume que, par un monstrueux abus de la parole, nous appelons le royaume frère. Si le gouvernement cède aux clameurs des Irlandais, il sera responsable des conséquences. Tous les pauvres de toutes les paroisses d’Angleterre auront le droit de venir lui dire : Vous nourrissez les Irlandais, nourrissez-moi.


Cette sortie sauvage fut comme un brûlot lancé dans la discussion. A peine M. Roebuck s’était-il rassis qu’une légion d’Irlandais se leva et déborda contre lui en invectives. Il y en eut un qui l’assimila à un crapaud ; un autre, relevant l’épithète de mendiant, s’écria : « Mais c’est avec de l’argent irlandais que vous avez bâti le palais de la reine et que vous embellissez votre capitale ; c’est avec de l’argent tiré de l’Irlande que les Lansdowne, les Hertford, les Devonshire, ont construit leurs hôtels. »

Au milieu de ces querelles amères, la grande question, celle de savoir sur qui retomberait la charge des pauvres en Irlande, sur les possesseurs de la terre ou sur le gouvernement, n’avait été posée que par les deux partis extrêmes. C’était au gouvernement à prendre le rôle d’arbitre, et à tenter, comme le font nécessairement tous les gouvernemens, une transaction. Ce fut en effet ce qu’entreprit lord John Russell dans les mesures dont il vint exposer le plan à la chambre des communes le 25 janvier. Ainsi qu’on va le voir, l’objet principal de ces mesures était de faire, en faveur des propriétaires d’Irlande, la part de