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Le parlement anglais l’a votée dans sa dernière session ; elle s’appelle la loi des pauvres.

Cette loi a été l’œuvre principale de la session ; elle a été, à vrai dire, toute la session. La suivre dans les diverses phases qu’elle a eu à traverser, ce sera raconter la dernière année du parlement qui vient d’être renouvelé. Les débats de cette session orageuse sont l’oraison funèbre, les novissirna verba d’une classe qui a commis de grandes fautes, mais qui en est aujourd’hui cruellement punie, nous voulons dire la classe des propriétaires irlandais. Pendant des siècles, ils ont laissé le peuple d’Irlande croupir dans la misère, dans le vice, dans l’ignorance ; ils l’ont laissé tomber à l’état sauvage. Cette masse d’infirmités et d’impuretés sociales n’a fait que s’accroître d’âge en âge, et en ce moment elle est devenue trop lourde à porter. L’Angleterre elle-même a plié sous le poids ; elle l’a secoué et l’a rejeté sur les épaules de l’Irlande, qui n’y résistera pas. On peut prédire à coup sûr qu’avant deux ou trois ans, la moitié de la terre en Irlande aura changé de mains.

Du reste, les conséquences de la loi des pauvres étaient prévues. On savait très bien en Angleterre que cette loi aurait pour effet inévitable de ruiner la moitié des landlords de l’Irlande. Avant l’ouverture de la session, on organisait ouvertement des plans pour les déposséder ; ces projets de confiscation étaient discutés comme si c’eût été la chose du monde la plus naturelle, la plus inévitable ; les Anglais n’y mettaient pas le moindre ménagement, et le sacrifice de toute la classe des landlords, leurs anciens alliés, était pour eux comme un fait accompli. Sous les coups de la famine, sous les cris de l’émeute, sous la menace d’une spoliation générale, les landlords se réveillèrent et s’agitèrent. Quelques-uns, comme le marquis de Sligo, le comte de Roden, lord Monteagle, M. Ralph Osborne, se mirent à la tête du mouvement. M. Osborne surtout, le plus actif et le plus clairvoyant, écrivait dans les journaux, adressait aux petits propriétaires sommations sur sommations pour les engager à s’unir, à s’organiser et à agir. « Si vous voulez garder la terre, leur disait-il, il faut vous remuer. Signez des réquisitions ; faites appel à tous ceux de votre classe, et établissez un conseil dans la métropole de l’Irlande. » Et leur parlant de l’acte du labour-rate, il leur disait : « Si cet acte continue encore deux mois, comment paierez-vous l’intérêt des hypothèques et les parts des sœurs et des cadets ? Vous n’avez qu’une alternative, l’union ou la banqueroute. »

Ces appels pressans furent entendus. Les landlords se rassemblèrent à Dublin, et formèrent une espèce de ligue. Les questions politiques furent ajournées ; les différences de parti et de religion furent écartées, et on put croire un instant à l’établissement d’un parti irlandais. C’était la première fois depuis l’union, c’est-à-dire depuis l’ouverture de ce siècle, qu’il semblait se former en Irlande une ligue purement nationale ;