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jour. » Les paroles des maîtres sacrés entendues, le roi retint ses larmes, et s’arrêta le cœur plein de tristesse et d’angoisse, regardant son fils qui s’éloignait. » Ici tout est simple, touchant, bien pris dans la nature, et les gémissemens éperdus de la mère, et la fermeté de Rama dans son affliction, et la douleur poignante du vieux roi, et ses larmes qui s’arrêtent à la voix des brahmanes, et son dernier regard accompagnant de loin le fils qu’on ne lui permet pas de pleurer.

Je m’arrête. Ce qu’on vient de lire suffit, je crois, pour donner une idée générale du Ramayana, et de l’intérêt que peuvent offrir la publication et la traduction de ce grand poème. Du reste, avant d’être traduit en latin par M. Schlegel, en italien par M. Gorresio, le Ramayana l’avait été dans plusieurs langues de l’Orient, entre autres en hindoui, l’un des dialectes populaires de l’Inde[1]. Je ne sais quelles étaient les facilités qu’offraient ces différentes langues aux traducteurs du Ramayana, mais je suis bien frappé des obstacles que la nature de la langue sanscrite présentait aux traducteurs européens ; aucun autre idiome ne possède au même degré la faculté de former des composés par l’association d’un grand nombre de radicaux. Un vers sanscrit de trente-deux syllabes peut ne contenir qu’un seul mot. Ce qui ailleurs demande toute une phrase peut être rendu par une seule épithète. En vérité, si M. Jourdain eût connu le sanscrit, il aurait réservé pour ce bel idiome toute l’admiration que lui inspirait le turc, langue qui, à en croire Covielle, dit beaucoup de choses en peu de paroles, et où maraba sahem veut dire : Ah ! que je suis amoureux d’elle ! Sérieusement, le sanscrit possède au plus haut degré la faculté de réunir les mots simples en mots composés. Le grec, l’allemand, le français de Ronsard, sont les seules langues qui construisent ainsi des vocables formés de plusieurs radicaux ; mais ces langues, en y comprenant la troisième, sont à cet égard d’une extrême timidité, comparées au sanscrit. L’allemand est certainement celle qui, par son génie, se prête le mieux à reproduire, dans une certaine mesure, cette synthèse puissante, qui donne au sanscrit tant d’ampleur et de majesté. Je m’étonne donc qu’un homme, maître de la langue allemande comme l’était Schlegel, ait préféré se servir du latin pour traduire le Ramayana, comme il s’en était déjà servi dans sa version du Bagavad-Gita. Son latin, du reste, a une certaine gravité un peu archaïque, assez en harmonie avec le caractère grandiose de l’épopée primitive[2]. Quant à M. Gorresio, il a voulu faire une œuvre nationale, et il s’est servi de la langue italienne, qui, pour la première fois, avait à reproduire les hardiesses

  1. Voyez l’Histoire de la littérature hindoui et hindoustani de M. Garcin de Tassy.
  2. Seulement l’empreinte classique efface parfois la couleur locale, les quatuor civium ondines ne produisent pas tout-à-fait sur l’imagination le même effet que les quatre castes, en sanscrit les quatre couleurs.