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sont attribuées les macérations auxquelles se soumettent encore aujourd’hui les pénitens de l’Inde. Ils couchent sur le sol humide pendant la saison des pluies, ils tiennent les bras constamment élevés, ils vivent entourés de feux durant l’été. Brahma, touché de ces mortifications, vient trouver dans son ermitage l’arrière-petit-fils de Sagara, — car la pénitence a mis le saint roi sur un pied d’égalité avec le dieu, — et lui annonce que ses prières sont exaucées, que les eaux de la rivière céleste baigneront les cendres des Sagarides, et que ceux-ci, purifiés par cette lustration divine, monteront au ciel. Seulement, dit Brahma, il faut obtenir du dieu Siva qu’il reçoive sur sa tête l’onde qui se précipitera du firmament, car la terre ne pourrait en soutenir la chute et l’impétuosité. Après une année que le roi pénitent passe encore dans des austérités inouies, Siva consent à recevoir sur sa tête la déesse Ganga tombant du ciel. « Alors le puissant dieu du monde, ayant gravi les sommets de l’Himalaya et appelant Ganga, la nymphe du fleuve céleste, lui cria : Descends. La fille aînée de l’Himalaya, celle que le monde entier adore, en entendant cet ordre de Siva, fut saisie de colère ; rassemblant l’immensité de ses eaux, elle se précipite sur la tête fortunée du dieu. La déesse se disait : Certainement je pénétrerai jusqu’aux enfers, et j’entraînerai Siva avec mes flots ; mais le dieu se dit à son tour : Je saurai l’humilier. En effet, il la laissa, durant des années, s’égarer parmi les boucles de sa chevelure, semblable aux forêts de l’Himalaya ; il fallut encore de nouvelles austérités du descendant de Sagara pour délivrer Ganga, prisonnière dans l’immense chevelure de Siva. Enfin celui-ci écarte une boucle de ses cheveux, et le Gange se répand sur la terre, le Gange, fleuve divin, immaculé, qui purifie le monde. Les dieux et les sages célestes, les génies, les bienheureux, s’avancent pour le contempler sur des chars, des chevaux et des éléphans, ou en volant à travers les airs ; des divinités se plongent dans les ondes sacrées, et le grand Brahma lui-même, le père de l’univers, suit le courant divin. Les pierreries qui forment la parure des dieux resplendissent, le ciel sans nuage semble éclairé de mille soleils ; des poissons et des dauphins sillonnent l’air en tombant comme des éclairs, et les flots blanchissans d’écume, dispersés dans l’espace, semblent des troupes de cygnes volant sous un ciel d’automne. Ici le fleuve s’élance d’un cours rapide, là il se traîne dans un lit tortueux ; ici il s’épanche sur une vaste étendue, là ses eaux sont presque immobiles. Tous les êtres, en se baignant dans les ondes pures qui se sont réunies sur le corps sacré de Siva, étaient lavés de leurs souillures ; ceux qui, par l’effet de quelque malédiction, étaient tombés du ciel sur la terre, purifiés de nouveau, remontaient aux demeures éthérées. Les sages divins murmuraient des prières, les musiciens célestes chantaient, les belles Apsaras formaient des chœurs de danse ; les troupes de pénitens se réjouissaient. L’univers