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un appui résolu et presque systématique, telle a été la difficile mission dévolue aux chambres de 1841 et de 1842. Quand des questions aussi graves étaient posées, quand la balance des forces parlementaires était répartie de façon que les ministres du 29 octobre ne paraissaient avoir pour successeurs possibles que les ministres du 1er mars, il était naturel que les conservateurs fussent ombrageux et peut-être exclusifs. Tout ce qui venait de l’opposition était à bon droit suspect ; ce n’était pas le temps de rien emprunter à ses ennemis et de leur rien offrir. Partager leurs susceptibilités sur la politique étrangère, c’eût été risquer gratuitement d’exalter l’orgueil national, toujours frémissant au sein des masses ; épouser leurs idées de réforme intérieure, c’eût été abaisser devant eux, au plus fort du combat, le vieux drapeau du parti. La résistance absolue était alors une nécessité.

La majorité conservatrice des deux dernières chambres n’a pas besoin d’être louée pour avoir compris cette nécessité ; elle a reçu du pays lui-même les éloges qu’elle ambitionnait et la seule récompense qui fût digne d’elle. Les électeurs ne se sont pas laissé prendre aux imputations injurieuses et presque grossières de l’esprit de parti contre leurs représentans ; ils les en ont noblement dédommagés par des suffrages plus nombreux et une plus vive adhésion. L’opinion conservatrice n’avait jamais été plus hardiment calomniée, elle ne fut jamais plus triomphante ; avec cet admirable instinct qui ne lui fait jamais défaut, le pays avait su apprécier les intentions autant que les actes, et tenu plus de compte du fond des choses que des apparences. Il avait compris qu’on pouvait être gardien jaloux de la dignité nationale sans s’épuiser en continuelles invectives contre les étrangers ; il avait senti surtout que les réformes sages, restreintes, les seules qu’il réclamât, ne pouvaient lui venir des partis violens, qu’il fallait s’en remettre aux soutiens habituels des doctrines gouvernementales du soin de les lui accorder dans la mesure et au moment où elles pouvaient devenir fructueuses. Tel est, à notre avis, le sens du verdict national prononcé au mois d’août dernier.

Mais l’ascendant du parti conservateur une fois établi par le résultat des élections, croire qu’il n’y avait plus rien à faire qu’à reprendre, sans y rien changer, la politique des années antérieures, c’était montrer moins de sagacité que les électeurs, qui, par la voix toute-puissante du scrutin, venaient de faire entendre un langage si décisif et si facile à comprendre. Il ne pouvait plus être question désormais de l’ancienne tactique. Comment mener incessamment au combat des bataillons démesurément grossis contre des troupes décimées ? Il était facile de prévoir que l’ardeur de la lutte allait s’éteindre par le triomphe même. Une chose restait à faire aux chefs de la majorité, un devoir nouveau leur était imposé : la diriger et s’en servir.