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temple égyptien. Qu’on mette un Napolitain ignorant devant Isis allaitant Horus, et je ne serais pas surpris qu’il se crût en présence de la Madone. La ressemblance fortuite de quelques noms de divinités n’est pas une meilleure preuve, car les racines sanscrites des uns ne correspondent point aux racines coptes des autres. De plus, les deux langues n’appartiennent point à la même famille. Depuis le beau travail de M. Benfey, on ne peut douter que l’ancien égyptien et le copte, qui en est un dérivé moderne, n’aient des analogies essentielles avec les langues sémitiques, avec l’hébreu surtout, et non avec le sanscrit. Les rapprochemens qu’on a tenté d’établir entre l’organisation sociale de l’Inde et celle de l’Égypte reposent en général sur une opinion qui, pour être fort répandue, n’en est pas plus vraie, l’hérédité des professions en Égypte. Je suis en mesure de démontrer, et je démontrerai prochainement, dans un travail spécial, par la comparaison d’un grand nombre de monumens égyptiens, que cette assertion des anciens tant répétée, et qui a passé à l’état de lieu commun, est radicalement fausse, comme beaucoup d’autres lieux communs. On ne peut donc conclure de l’existence supposée des castes à l’identité d’origine de la société hindoue et de la société égyptienne, car les castes, dans le sens qu’a pris ce mot portugais appliqué à l’organisation sociale de l’Inde, étaient étrangères à l’Égypte. L’Égypte et l’Inde n’ont donc rien de commun dans leurs origines ; elles diffèrent profondément par la religion, par la langue, par le gouvernement, et il n’est pas plus sage aujourd’hui de voir dans les Égyptiens une colonie hindoue qu’il ne le serait de croire aux fabuleuses colonies conduites dans l’Inde par Osiris et Sésostris, ou d’admettre, avec Huet et le père Kircher, que les Chinois sont des Égyptiens transplantés un peu loin, il est vrai, et ayant beaucoup changé sur la route. Ce qui demeure certain, c’est que l’Inde et l’Égypte sont les deux pôles de l’Orient ; que ces deux pays, d’antique renommée et de grand avenir, merveilleux par leur ancienne culture et par les gigantesques monumens qu’elle a laissés, sont bons à mettre en regard, non pour en exagérer les rapports et en confondre les origines, mais pour en caractériser le génie moins encore par les ressemblances que par les contrastes.

Il en est un qui se présente tout d’abord, au moment où nous allons parler de l’épopée indienne : c’est que l’épopée héroïque ne paraît pas avoir été connue des Égyptiens. Ils avaient des chants religieux, on le sait par le témoignage des anciens, on le voit par les monumens sur lesquels sont représentés des personnages à genoux et chantant, tandis qu’ils s’accompagnent sur une harpe[1]. Les Égyptiens avaient des chants populaires. Champollion a lu la chanson des Boeufs, chanson

  1. Rosellini. Monumenti civili, pl. XCV, f. 3.