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bientôt le rameau sacré de la poésie. Elle a déjà donné à l’art moderne plus que de vagues promesses. Quand les idées de la société nouvelle auront mieux pénétré son esprit, quand la pensée chez elle viendra fortifier l’enthousiasme, qui l’empêchera de créer des figures immortelles et de repeupler les cieux ?


II.

Maintenant laissez là ce passé, et jetez un seul regard sur ce qui se fait autour de vous ; vous vous demanderez si c’est le même peuple, si ce sont les mêmes hommes, et ce que sont devenues tant d’éclatantes promesses. Goethe, je le disais tout à l’heure, avait salué avec joie l’aurore fortunée du XIXe siècle français ; imaginez qu’il revienne au monde et qu’il nous interroge. Je crois le voir, l’auguste patriarche, le pontife vénéré de l’art et de la poésie : avec ce grave enthousiasme cosmopolite que lui a si durement reproché sa patrie jalouse, il nous examine avidement. Son grand œil, où s’allume la flamme secrète, cherche les monumens glorieux dont il a vu les plans et les premières assises. Il parcourt d’un regard rapide ce champ labouré, il y a quinze ans, par tant de mains impatientes, et où devait s’épanouir, sous le soleil de juin, la moisson dorée que bénissent les Muses. Non, le champ n’a pas été béni, la moisson n’est pas venue. Ces monumens, qui pourraient, être debout, ont été lâchement abandonnés, La foi charmante des jeunes années est morte, au fond des ames, comme un feu sans aliment. Il n’y a plus de croyance, il n’y a plus d’idéal. Le talent, l’habileté, ne manquent pas : ils ont grandi au contraire, ils ont acquis des ressources inattendues ; mais ce sont des ressources coupables, et l’œil sévère du maître voit sans peine ce que cette habileté de mauvais aloi a coûté à la sainteté de l’art, combien la pensée est méprisée par ces ouvriers sans pudeur, à quel indigne métier on a condamné la libre poésie chez le peuple le plus héroïque et le plus désintéressé qui fût jamais ! Voilà ce que verrait le vieil artiste, et comment s’étonner si sa main effaçait sur son journal les lignes pleines d’espérance, les prédictions enthousiastes que nous lui inspirions hier ? Nous-mêmes, faut-il désespérer ? Non ; je ne pense pas que le mal soit incurable : il y a encore trop de sève dans l’esprit de ce temps ; mais, si nous voulons guérir, il ne faut pas nous dissimuler nos misères. Osons nous examiner courageusement, sondons nos reins, et, sans nous préoccuper des cris du malade, mettons le fer et le feu dans la blessure.

Les maux dont nous souffrons sont nombreux. Pour les signaler tous et ne point s’égarer dans cette description compliquée du fléau, je dénonce tout d’abord les deux vices souverains qui contiennent tous les autres, l’infatuation et l’absence d’idées. Si l’on veut bien examiner attentivement