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loi de 1812, comme aux compagnies de Strasbourg et de Nantes, ou la garantie d’un minimum d’intérêt, comme à la compagnie d’Orléans : mais elle n’a pas tardé à reconnaître qu’elle compromettait son existence par ces réclamations inadmissibles. Sa dernière proposition tend à obtenir la prolongation des délais stipulés pour la construction du chemin, et la faculté de déclarer après deux ans si elle ferait le chemin entier (moins l’embranchement de Castres) ou si elle s’arrêterait à Toulouse : dans ce dernier cas, le gouvernement conserverait le droit de racheter la concession totale en remboursant les sommes dépensées par la compagnie. Un tel arrangement serait la négation même de l’entreprise. Un vœu national, la jonction des deux mers, trop imparfaitement réalisée par le canal du Languedoc, s’évanouirait encore une fois. Déjà un grand nombre de souscripteurs du sud-est ont déclaré qu’ils n’entendaient pas s’imposer des sacrifices pour une opération dont leurs départemens ne retireraient pas un profit direct, et que toute modification au projet primitif les délierait de leurs engagemens. Il y aurait donc une nouvelle compagnie à former, un cahier des charges à refondre, opérations qui traîneraient en longueur sous le poids de la défaveur publique ; cette prétendue solution ne serait qu’un ajournement de la pire espèce. Si l’on juge que le chemin du Midi ne peut pas être différé, si on tient à utiliser les capitaux déjà rassemblés, l’expédient le plus sûr et le plus équitable serait celui que le gouvernement autrichien a pratiqué dans ses possessions d’Italie. La compagnie de Bordeaux à Cette construirait la ligne dans toute son étendue, sans autre modification au cahier des charges que la suppression de l’embranchement de Castres et une prolongation de temps peut-être nécessaire pour la réalisation des capitaux. Elle exploiterait ensuite pendant deux ou trois ans, à, ses risques et périls : après cette expérience, elle aurait à déclarer d’une manière définitive si elle veut conserver ou céder le chemin ; dans ce dernier cas, l’état se substituerait à elle, en lui remboursant toutes ses avances au moyen d’obligations portant 4 pour 100 de rente au pair, rachetables au moyen d’un système d’amortissement formé avec les ressources du chemin. Cette combinaison, sans engager l’avenir, aurait la même efficacité que la garantie d’un minimum d’intérêt pour soutenir le crédit de la compagnie.

Quelque grave que soit chez nous la crise des chemins de fer, elle n’est pas comparable aux embarras créés en Angleterre par les mêmes motifs. C’est qu’en France, la spéculation n’a pas excédé de beaucoup les ressources du pays : le mal est bien moins dans les faits que dans un désenchantement momentané. En énumérant les entreprises qui sont en souffrance, nous avons fait voir qu’il était facile de leur porter secours sans augmenter les charges publiques. Aux unes, prolongation de jouissance avec la garantie de la révision des tarifs ; aux autres, allégement des charges vraiment intolérables ; prêts à court terme, sous forme d’avances ou d’achat d’actions, aux entreprises en voie d’achèvement, ajournement pour celles qui, n’étant encore qu’en projet, se défient de leurs propres ressources. Pour relever le niveau du crédit et ranimer le travail, les moyens ne manquent pas : il suffit qu’on ne craigne plus d’y avoir recours.


ANDRE COCHUT.