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toute la durée de leur privilège. Une combinaison beaucoup plus avantageuse pour le pays serait de leur accorder les quatre-vingt-dix-neuf ans qu’ils sollicitent, sauf à se réserver le droit de réviser le tarif tous les cinq ou dix ans. Dans cette limite de quatre-vingt-dix-neuf ans, l’amortissement peut être réduit à 40 centimes pour 100 francs ; avec 300,000 francs par année, on rembourserait le capital élevé même au chiffre de 300 millions. La règle d’équité que le gouvernement aurait à suivre, dans le remaniement décennal des tarifs, serait de maintenir le bénéfice net des actionnaires à un niveau d’au moins 6 pour 100, suivant les termes du contrat primitif. Or, l’élévation progressive des recettes permettant d’abaisser périodiquement les prix, on arriverait à la plus grande facilité de locomotion et d’échange que l’on puisse désirer dans l’intérêt du commerce. Ainsi serait réalisé sur la plus importante des lignes françaises l’unique bénéfice qu’on attendait de l’exécution par l’état, le transport au plus bas prix possible, idéal du système.

Concédé l’un des derniers, à une époque où les financiers habiles entrevoyaient déjà les symptômes de la crise, le chemin de Lyon à Avignon a’ été paralysé par des appréhensions, par une défaveur que rien ne semblait justifier. Aucun travail de construction n’a été entrepris. L’existence financière de la compagnie n’est pas même bien régularisée, puisqu’une partie de ses membres vient de protester contre l’autorisation de coter les actions à la Bourse. Une foule d’actionnaires timides, amenés par les petites compagnies qui entrèrent en fusion, poussent des cris d’alarme et y mêlent des réclamations tellement exagérées, qu’elles équivalent à une demande en dissolution. Les plus raisonnables réclament l’annulation de l’embranchement de Grenoble et une extension de privilège de quarante-cinq à soixante-quinze ans. Il y a même des trembleurs à qui ces conditions ne suffisent pas, et qui pétitionnent en leurs propres noms pour qu’on y ajoute une garantie d’intérêt de 4 et demi pour 100. Pour le moment, le ministre n’accueille ni ne rejette ces doléances. La décision qu’il provoque n’a qu’un seul but : lancer l’entreprise pour procurer du travail aux ouvriers, et hâter l’achèvement d’une communication importante. En conséquence, il propose d’accorder un an de plus, cinq ans au lieu de quatre, pour l’achèvement des travaux ; de proroger à dix ans l’exécution de la ligne de Grenoble, et même d’en exonérer la compagnie, si les produits nets de la ligne principale n’excèdent pas 7 pour 100 sur le capital engagé. Dans le cas où la compagnie, renonçant à son marché avant le 1er juin 1848, aurait accompli pour 10 millions de travaux, elle ne perdrait que son cautionnement : les dépenses faites en achat de matériaux et en main-d’œuvre lui seraient intégralement remboursées. En n’acceptant cette proposition que comme un expédient transitoire, la compagnie s’en montre assez satisfaite. Après un an d’expérience pratique, il sera plus facile d’apprécier la légitimité de ses réclamations, lorsqu’elle sollicitera de nouveau la suppression absolue du ruineux embranchement et la prolongation de son privilège. Si la ligne secondaire de Grenoble ne rend pas naturellement l’intérêt des fonds, qu’elle doit absorber, c’est que son utilité est au moins douteuse : on pourra la supprimer sans un préjudice marqué pour le pays. Quant à la prolongation du privilège, ce sera un procès à juger, non pas suivant la lettre du contrat, mais conformément a son esprit. Les débats de la tribune avaient fait espérer aux concessionnaires un placement