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ne remarquent pas que les deux résultats se contredisent, qu’il n’est pas possible d’abaisser les prix sans amoindrir les recettes. Le seul argument sérieux à faire valoir en faveur de l’exécution des chemins de fer par l’état, c’est une garantie contre l’exagération des prix. Or, ce résultat peut être obtenu par le moyen de l’industrie particulière aussi bien que par les soins du pouvoir ; il suffit d’introduire dans le cahier des charges une clause ainsi conçue : « Tous les dix ans, les tarifs pourront être modifiés par un acte législatif, sur une proposition émanée du ministère ou des chambres, ou sur la demande des compagnies elles-mêmes. » Avec ce procédé, qui est pratiqué par plusieurs états de l’Union américaine, il n’y a plus à craindre que les compagnies abusent de leur monopole : dès que les dividendes s’élèvent au-dessus du niveau des profits raisonnables, on promulgue un nouveau tarif, combiné de manière à ce que l’activité des relations tourne à l’avantage du public. Les spéculateurs n’auraient certes pas à se plaindre, si on leur laissait toujours une prime industrielle d’environ 2 pour 100 au-dessus du taux légal de l’argent, c’est-à-dire un revenu de 6 à 7 pour 100 sur le capital engagé[1]. Ce principe de la révision des tarifs place le remède à côté du mal. Peu importe au public qu’une concession soit plus ou moins longue, pourvu qu’il soit sûr d’obtenir les transports faciles et à bas prix.

De ce principe appliqué à la compagnie de Lyon, il sortirait, ce nous semble, une solution équitable et féconde. Entre le pays représenté par les pouvoirs parlementaires et les actionnaires sérieux, c’est une affaire de loyauté : ceux-ci ont été amorcés, du haut de la tribune nationale, par l’appât d’un revenu d’environ 7 pour 100. Ce résultat, compromis par une erreur qui ne peut pas leur être imputée, doit être rétabli par une révision du contrat. Rien n’est plus facile heureusement que de faire tourner cette réparation à l’avantage du commerce français. La compagnie demande qu’une prolongation de jouissance lui permette de rétrécir la base de son amortissement, afin qu’il lui devienne possible de servir les intérêts de l’emprunt qu’elle est forcée de faire. Aux termes de la concession qui stipule une jouissance de quarante et un ans et trois mois, il faut un amortissement de 1 pour 100 ; de sorte qu’avec un capital porté à 300 millions, il y aurait à prélever annuellement 3 millions sur le revenu de 14 à 15, ce qui abaisserait la rente de l’actionnaire à 4 pour 100. Au contraire, si la durée de l’exploitation était prolongée, l’amortissement pourrait être réduit proportionnellement, et l’économie annuelle faite sur cet article servirait à payer l’intérêt de l’emprunt. Un prélèvement de 20 centimes pour 100 francs, à l’intérêt composé de 4, rembourserait un capital en soixante-dix-huit ans : ce terme suffirait à la rigueur pour que les actionnaires, après avoir pourvu à l’emprunt, retirassent un intérêt honnête de leur argent, si toutefois le tarif ordinaire était maintenu pendant

  1. Nous avons lieu de croire que les bonnes lignes françaises pourraient fournir à leurs, actionnaires un revenu de 6 à 7 pour 100, même après un abaissement de prix au niveau des tarifs belges. Si le gouvernement belge ne retire que 4 pour 100 des chemins qu’il a fait construire, c’est que sa spéculation porte sur un réseau complet, comprenant de bonnes et de très mauvaises lignes. Des tableaux de parcours que nous avons sous les yeux nous prouvent que plusieurs sections, à peine utilisées, ne donnent sans doute que des pertes. La compensation doit donc être établie par le produit supérieur des lignes bien situées. En France, au contraire, les compagnies n’ont attaqué que les voies de grande communication, dont l’avenir est incalculable.