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nouvelles de M. Jullien sont exagérées sur quelques points, la somme de 24 millions attribuée vaguement pour les travaux de Lyon sera insuffisante ; de sorte qu’en dernière analyse, l’élévation du capital à 300 millions rentrerait dans les limites de la prudence. Nous avons déjà vu qu’une augmentation d’au moins 50 pour 100 sur les fonds primitifs semblait une loi en matière de travaux publics.

Si l’estimation de la dépense a été trop faible, le calcul des recettes reste, selon nous, au-dessous de la probabilité. Le rapporteur du projet de loi prévoyait un produit d’environ 14 millions et demi, ce qui eût donné entre 7 et 8 pour 100, dans l’hypothèse d’un capital de 200 millions. Ce que les actionnaires ne disent pas, ce qu’ils n’ont peut-être pas suffisamment entrevu, c’est que le produit net doit être considérablement augmenté par le bénéfice sur les bagages, les voitures et les animaux[1], par des économies faciles sur les frais d’exploitation, par le remaniement intelligent des tarifs, par divers produits accessoires[2], et surtout par la multiplication naturelle et progressive des transports. Nous estimons que, lorsque toute la ligne sera ouverte, le revenu net se balancera entre 17 et 18 millions. S’il en était ainsi, les espérances des actionnaires ne seraient pas beaucoup diminuées, même par un surcroît de 50 pour 100 sur la dépense. Mais, dira-t-on avec raison, l’augmentation des bénéfices n’est qu’une conjecture, tandis que la nécessité d’un emprunt est un mal certain, une réalité qui écrase le présent : la Bourse n’escompte pas l’avenir. La dépression des valeurs industrielles, réagissant sur le crédit tout entier, devient un malheur pour tous ceux qui vivent par le commerce : il y a donc justice, il y a donc urgence d’aviser aux moyens de relever les cours.

Les compagnies de Lyon et d’Avignon demandent une prolongation de leurs privilèges. En supposant que cette réparation fût reconnue légitime, il ne serait pas sans inconvénient de la leur accorder d’une manière absolue. Le gouvernement, qui s’est réservé le droit de racheter les lignes suivant le nombre des années restant à courir sur la durée de la concession, s’exposerait ainsi à les payer à un prix excessif. Mais n’y a-t-il pas un moyen de se mettre d’accord avec les compagnies sans compromettre les intérêts généraux ? Plaçons-nous au point de vue des adversaires exclusifs de l’industrie privée. Supposons que l’état eût exécuté tous les chemins de fer, afin de s’en réserver le monopole. Nous demandons quels eussent été pour le public les avantages de ce système ? Le gouvernement, dira-t-on, eût réalisé les bénéfices que vont faire les compagnies, et il eût abaissé les tarifs jusqu’à la limite extrême du bon marché. Ceux qui raisonnent ainsi

  1. L’évaluation des revenus a été faite approximativement sur le nombre moyen des voyageurs de toutes classes, et le poids en moyenne des grosses marchandises : « Nous ne comptons, a dit M. Dufaure au nom de la commission, ni les bestiaux, ni les voitures, ni les bagages, dont il nous a été impossible de calculer approximativement le produit. » Cette valeur négligée donne pourtant un produit considérable. D’après les comptes hebdomadaires du chemin d’Orléans, ces divers articles figurent dans la recette brute pour 16 à 17 pour 100, ce qui doit ajouter environ 9 pour 100 au produit net. Le budget des chemins belges confirme ces résultats inespérés : à ce compte, les prévisions pour la ligne de Lyon s’élèveraient de 12 à 1,400,000 fr.
  2. Vente des herbages, location de terrains, transports spéciaux pour les services de l’état, etc. — Dans le compte des chemins belges pour l’année 1844, on estime que ces accessoires divers élèvent le bénéfice net d’au moins 10 pour 100.