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agriculteurs ne s’aperçoivent, à la faveur d’une expérience passagère, combien peu est productive la protection que leur procure la douane, en comparaison de ce qu’elle leur coûte, et l’armée de la prohibition perdrait ainsi son plus gros bataillon. La disette même ne semble pas une raison suffisante au comité qui, dans une lettre officiellement adressée au conseil des ministres avant que la crise des subsistances fût déclarée, se targuait d’avoir la responsabilité de l’existence de presque toute la nation[1]. Les chefs des coalisés ont donc déclaré qu’ils s’opposaient à ce que le tarif fût modifié, surtout à l’égard du bétail. Ils ont parlé avec l’assurance que leur inspirent leurs grandes victoires passées, celle de 1841 contre l’union commerciale avec la Belgique, qu’ils ont empêchée au mépris des plus grands intérêts politiques de la patrie, celle de 1845 contre la graine de sésame et contre le ministre du commerce lui-même, celle de cette année contre le projet modéré pour la révision du tarif que l’administration avait préparé, et auquel il a fallu substituer, parce que tel était leur bon plaisir, le ridicule plan de réforme douanière dont la chambre des députés est saisie. Ils ont parlé comme des hommes qui sont assez les maîtres pour avoir fait répéter, en 1847, à Paris même, avec un redoublement de rigueur contre les commerçans les plus honorables, en l’honneur de la prohibition, les visites domiciliaires et les autres vexations imaginées par la convention et par l’empire comme des mesures de guerre contre l’Angleterre. Pourquoi faut-il que nous avons à dire qu’ils ont été écoutés, obéis ! Les bonnes intentions dont le gouvernement était animé ont été comprimées ; ses mesures ont été faussées, ses projets ont été mutilés ou mis au néant ; on n’a touché à la question de la crise des subsistances que pour commettre des fautes. Il y avait pour le gouvernement une autre attitude à prendre en présence de cette audacieuse coalition. Les prétentions des prohibitionnistes n’auraient pas tenu devant la discussion publique. Ils osent beaucoup, mais ils n’auraient pas osé affronter le reproche lancé du haut de la tribune de se faire les complices de la famine. Lequel d’entre eux concevrait l’idée de tenir tête à l’homme éminent qui est le chef réel du cabinet dans une de ces luttes parlementaires où il est habitué à de si éclatans triomphes ? En grande majorité, tous même, ils ont dans l’ame le sentiment des droits de l’humanité ; il ne s’agirait que de l’y réveiller. Avec de la fermeté, on les eût déjà ramenés à la raison ; on le pourrait encore.

Le gouvernement s’est dès l’abord laissé ravir sa liberté de jugement. Il faut le conjurer de reprendre l’empire de lui-même. Rien n’est périlleux pour un gouvernement comme de se laisser dominer par une

  1. Lettre du comité de l’association dite du travail national, publiée par lui-même sous la date du 10 novembre 1846.