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La proposition ministérielle laisse à désirer sous un autre point de vue. On a senti que la prorogation de trois mois ne serait pas suffisante, on a voulu se réserver une porte de derrière pour l’étendre. Il est donc dit expressément dans le projet de loi que des ordonnances pourront reculer le terme fatal. Ainsi le commerce aura devant lui la chance qu’un délai supplémentaire lui soit accordé, mais aussi bien la chance qu’onde lui refuse : on fait peser sur lui l’indéterminé, l’inconnu, ce qui rebute la spéculation légitime et honnête. On oublie donc que la législation provisoire inaugurée en janvier dernier a eu précisément pour objet de soustraire le commerce aux incertitudes de l’échelle mobile, et voici qu’après les avoir chassées par une porte, on les ferait rentrer par une autre. Vos ordonnances, en effet, sont pour le moins aussi aléatoires que l’échelle mobile. Quelle garantie a-t-on que l’administration ne se formera, au sujet des approvisionnemens de 1848, des idées du même genre que celles qui lui ont inspiré la circulaire de l’automne dernier ? L’échelle mobile au moins n’avait pas de ces distractions-là. De grace, renonçons à ces complications, à cet arbitraire, car c’est le nom propre de ce système. Ayez une formule qui soit simple dans ses combinaisons comme l’objet à attendre, un programme large comme le besoin public auquel il faut satisfaire. En présence des populations affamées, n’écoutez d’autres conseils que ceux de votre cœur, qui est bon. Ne craignez pas de trop bien faire ; craignez, au contraire, de ne pas faire assez ; croyez fermement que vous ferez toujours trop peu. Que votre loi soit donc la liberté pendant un an et pour toutes les subsistances. Il n’y a que cela de vrai et de sage, d’efficace et d’humain.

Enfin le projet de loi a un grave défaut : il ne stipule rien pour la viande. Le bétail sur pied et même les salaisons resteraient frappés des droits actuels. L’administration devrait bien donner au public la clé de ses actes sur ce sujet. Jusqu’à explication, ils nous semblent fort contradictoires. Après la révolution de 1830, c’était une sorte d’idée fixe de supprimer les droits sur le bétail, qui avaient été votés en 1822 malgré le gouvernement de la restauration lui-même. Le 3 décembre 1832, un projet de loi est présenté qui aurait réduit le droit sur les bœufs de moitié. La chambre des députés eut le tort de le repousser. Le gouvernement ne se tient pas pour battu ; il revient à la charge en 1834, atténuant sa première proposition de manière à abaisser le droit d’un tiers seulement. Le sentiment libéral et populaire du gouvernement fut encore une fois vaincu par l’esprit prohibitionniste de la chambre. Le gouvernement cependant ne se lasse pas. En 1837, le ministre du commerce adresse aux conseils-généraux une notice ambiguë dans sa rédaction, incertaine dans son raisonnement, mais qui, par les faits qu’elle cite, provoque à la modération des droits. En 1842, il publie un tableau