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la moisson de 1848, le blé sera cher ou à bon marché. Tout porte à croire sans doute qu’il sera bien moins cher qu’aujourd’hui ; mais le prix actuel est une calamité : il n’existe pas d’ordre social qui pût le supporter long-temps. Tant que le blé n’aura pas repris son taux habituel de 20 fr., les bons citoyens, les hommes qui ont quelque sentiment généreux dans l’ame, devront ne pas se tenir pour satisfaits. Lors même que le gouvernement, au lieu de faire les plus grands efforts, s’enfermerait dans une inaction complète, il y a lieu de penser que nous nous rapprocherions assez vite de la cote de 30 fr. l’hectolitre, de même que dans la saison comprise entre juillet 1817 et juillet 1818 ; mais les prix de 30 à 35 fr. et même de 25 à 30 sont pénibles pour les populations, nuisibles à l’industrie. Ils enfantent toujours et nécessairement des crises commerciales. Aussi un gouvernement habile, nous ne disons pas humain, doit, quand il prévoit des prix pareils, donner toutes les facilités à l’importation des alimens de toute nature. Mais il se pourrait, dira-t-on, qu’alors l’hectolitre e blé, dans la rapidité de son mouvement descendant, fût précipité au-dessous de la cote de 20 fr. Cette prévision ne s’appuie sur aucun précédent, n’a aucune probabilité, et, à aucune autre époque de disette, elle n’a moins mérité d’être sérieusement prise en considération. Cependant accordons que cette baisse subite soit possible. Au fait, rien n’est radicalement, mathématiquement impossible en ce monde, et, dans les choses humaines, les sages n’ont pour se conduire rien de plus que des probabilités ; si les événemens des sociétés étaient absolument réglés par des formules algébriques, le mérite d’être sage se réduirait à celui de résoudre une équation, et ce serait fort mince. Soit donc ; il n’est pas impossible que le blé tombe, en octobre ou en novembre, au-dessous de 20 fr., qu’il soit coté à 18 par exemple. Mais est-ce qu’il n’est pas dix fois plus possible qu’au lieu de 18 fr., il soit alors à 30 ? et quel est le moindre de ces deux maux, le prix de 30 fr., ou celui de 18, puisque la cote, de 18 fr. s’appelle un mal ? A mesurer seulement la probabilité de l’une ou de l’autre, quelle est, de ces deux chances, celle dont un homme d’état doit s’affecter ?

La proposition ministérielle dénote, on vient de le voir, une connaissance médiocre des faits antérieurs. Le gouvernement, qui publie d’excellens documens et à qui l’on est redevable des Archives Statistiques, d’où nous avons tiré ce qui précède concernant les disettes de 1812 et de 1817[1], devrait bien les lire pour son propre compte. Elle suppose aussi des notions commerciales peu exactes. Il semblerait que les pays producteurs de céréales soient à nos portes, qu’on puisse y puiser à discrétion et en un tour de main, ou encore que, pour trouver des navires prêts à partir en tel nombre qu’on voudra, il n’y ait qu’à frapper

  1. Archives statistiques, pages 18 et 23.