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heureuses pour que l’hectolitre de blé des États-Unis puisse être livré au Havre, à Nantes ou à Bordeaux, au prix de 20 fr. Arrêtons-nous un instant sur les élémens dont se compose ce prix.

Du moment que ce sont les états de l’ouest qui fournissent à l’Europe le blé que celle-ci peut retirer des États-Unis, la preuve est acquise, par cela même, que le blé de ce pays ne peut arriver chez nous à bas prix. Voici, en effet, les frais de transport qu’il subit : il faut de la ferme le voiturer jusqu’à un canal qui se décharge dans le lac Érié : ce sera le canal d’Ohio ou le canal de la Wabash, peu importe. Une fois là, il faut descendre le canal et atteindre le lac. A Cleveland ou à Tolède, où le canal se termine, on transborde la marchandise et on traverse le lac en bateau à vapeur ; c’est un voyage de 300 kilomètres. A Buffalo, de l’autre côté du lac, nouveau transbordement, afin d’entrer dans le canal Érié. Ce canal a 586 kilomètres. Il faut le parcourir dans toute son étendue, puis descendre 219 kilom. du cours de l’Hudson pour arriver à New-York. Ce sera en tout un voyage de 1,200 kilom. environ, avec des transbordemens et des commissions à payer avant d’être au port d’embarquement. On estime que tous ces frais réunis vont à 7 ou 8 fr. l’hect. Joignez-y la traversée de l’Atlantique, le débarquement, le magasinage, de nouvelles commissions, des chances d’avarie à couvrir ; vous arrivez à ce résultat que l’hectolitre est grevé de 12 à 13 fr. au moins, en sus du prix de vente sur le lieu de production, lequel est au moins de 7 à 9 fr., et sans compter le bénéfice du marchand. Par la voie de la Nouvelle-Orléans, ce serait un peu moins, parce qu’il n’y a pas de droit de péage sur l’Ohio et sur le Mississipi ni sur les fleuves leurs tributaires ; mais la diminution serait à peu près balancée pour le blé ou la farine par un surplus de fret et par l’accroissement des chances d’avarie qui résulterait du séjour dans un climat chaud et humide comme celui de la Louisiane. Et enfin New-York est le principal marché de froment. C’est pour le maïs que la Nouvelle-Orléans aurait l’avantage, parce qu’on peut l’y faire venir de moins loin que le blé. On diminue les frais de transport du blé, aux États-Unis, en opérant la mouture dans l’état producteur ou dans quelqu’un des grands moulins qui sont épars le long du canal Érié dans l’état de New-York ; mais c’est en ayant égard à cette économie qu’a été fait le calcul précédent, et il n’en reste pas moins acquis que rarement l’hectolitre de blé des États-Unis, ou l’équivalent en farine, pourra être rendu dans nos ports à 20 fr. l’hect. L’Amérique ne pourrait concourir à alimenter de blé la France, dans une proportion digne d’être citée, que dans les années de cherté. Elle nous enverrait du blé à peu près en tout temps, je le crois, mais seulement de petites quantités pour compléter des chargemens, et ainsi les Américains contracteraient l’habitude de nous fournir régulièrement