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son industrie, comment enfin l’intelligence des colons, éveillée par la liberté, s’ouvrit aux doctrines nouvelles de la civilisation, aux sciences politiques et morales. Il faut se demander maintenant si un tel spectacle doit être perdu pour la France, s’il n’y a pas pour elle une conclusion utile à tirer de ces faits trop peu connus.

De tous nos établissemens d’outre-mer, les révolutions et les guerres ne nous ont laissé que quelques îles éparses, qui ne parviennent pas à défrayer la métropole des charges de leur mince budget ; leur gouvernement, leur administration, leurs soldats, sont payés par la mère patrie. Chaque année, 25 millions sortent de nos ports pour aller, solder au loin les frais que ces établissemens nous imposent. Depuis vingt-cinq ans, nous payons le sucre beaucoup plus cher que ne le paient l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre. Malgré tous ces sacrifices, nos colonies, aux deux tiers incultes, ne peuvent fournir à notre consommation ; nous sommes forcés de tirer une partie de nos approvisionnemens des entrepôts étrangers. L’agriculture et l’industrie de nos îles n’avancent pas, leur population reste stationnaire, leur richesse décroît. De plus elles se plaignent de la concurrence que leur fait la betterave, et nous avons reconnu nous-mêmes la justice de leur réclamation. Il y a quelques années, il nous a fallu sacrifier le plus grand nombre de nos sucreries indigènes pour donner une satisfaction à nos planteurs. Toutefois la difficulté n’a été qu’ajournée, le problème n’a pas été définitivement résolu. Le droit décroissant qui frappait le sucre français avait pour objet d’amener dans nos colonies un surcroît de production qui fit baisser le prix du sucre de canne et le mît désormais hors des atteintes de la concurrence de l’industrie nationale ; cependant le sucre indigène se relève de jour en jour en proportion de l’abaissement du droit, sans que les fabriques coloniales aient augmenté leur production, et la querelle recommencera bientôt.

Quelles sont les raisons qui nous forcent à rester fidèles aux erremens de notre ancienne politique ? On assure que notre principal but est de protéger notre marine marchande. Ouvrons le compte-rendu du ministère du commerce : nous verrons comment notre marine a été protégée, et combien le système colonial a contribué à l’accroître. Depuis vingt-cinq ans, le nombre de nos navires a constamment suivi une progression décroissante. Du chiffre de 14,352 qu’il atteignait en 1829, il est graduellement tombé en 1846 à 13,825[1], et cependant, durant cette longue période de dix-sept années, nous ne nous sommes pas écartés en

  1. La perte est plus sensible encore, si l’on compare les chiffres de notre navigation au long cours à différentes époques. En 1836, nous avions 861 bâtimens de 200 à 600 tonneaux ; en 1844, il n’en restait plus que 652 de 200 à 600 tonneaux : c’est donc en moins de neuf ans 209 des plus grands navires qui ont été retirés du commerce par nos armateurs. La plupart de ces bâtimens étaient employés à l’intercourse avec les colonies.