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encore comme cliens. C’est ainsi que, dans le cours de ces dernières années, le nombre des hommes libres de couleur s’est augmenté dans une très forte proportion. En 1841, on en comptait cent cinquante mille de plus qu’en 1827 ; il est probable que le prochain recensement donnera une augmentation plus considérable encore. Cependant la paix et la tranquillité de l’île n’ont éprouvé aucun danger sérieux de cet accroissement continu du chiffre des affranchis. Il est à remarquer que pas un nègre libéré ne prit part à l’insurrection de 1843 ; tout se passa entre quelques blancs et les esclaves.

Voilà comment les Cubanes grandissaient en humanité aussi bien qu’en prudence et en richesse ; voilà comment, malgré l’activité de la traite, dont les importations successives élevèrent le nombre des esclaves à cinq cent mille, malgré les efforts réunis de la rivalité anglaise et de l’ambition américaine, l’île, par le bon esprit de ses habitans, a su se maintenir à l’abri de ces soulèvemens dangereux qui ont plusieurs fois ensanglanté les Antilles anglaises elles-mêmes, toutes gardées qu’elles étaient par de formidables garnisons. Qu’est-ce en effet que la révolte de 1843 auprès de ces cinq levées de boucliers dont la dernière coûta, en 1832, à la Jamaïque plus de sept cents victimes de toutes couleurs et 6 millions et demi de dollars, à l’Angleterre une indemnité de 500,000 livres sterling que le gouvernement fut obligé de répartir entre les colons ruinés ? Et répétons-le à la gloire des Cubanes, les nègres de la Jamaïque ne furent poussés à la révolte que par les mauvais traitemens qu’on leur faisait subir chez leurs maîtres ; or, il est prouvé que, sans les intrigues étrangères, l’échauffourée de 1843 n’aurait pas eu lieu à Cuba.

Tels sont les résultats qui, en dépit du mauvais vouloir de l’Espagne, constatent encore aujourd’hui la salutaire influence du décret de 1818. Non-seulement cet acte de justice accrut les richesses de l’Espagne en lui créant une colonie capable de la dédommager des pertes qu’elle subissait à la même époque sur le continent de l’Amérique, mais encore il fit faire à la civilisation un pas immense, il lui conquit une terre de plus dans ce monde transatlantique dont la moitié semblait ne secouer le joug de l’Europe que pour mieux reculer vers la barbarie. Que n’eût pas fait l’île de Cuba, si l’Espagne, persistant dans la voie de l’affranchissement, l’avait dotée de toutes les libertés qui lui manquent, au lieu d’essayer de lui ravir la seule qui lui eût été donnée !


IV.

On sait quelle fut, pour les destinées de l’île de Cuba, l’influence des franchises commerciales, comment le décret de 1818 devint la base de sa fortune, comment se développèrent à la fois son agriculture et