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Une société d’encouragement, constituée pour favoriser l’immigration des ouvriers libres dans l’île de Cuba, proposait en même temps les prix suivans : une prime de 12,000 piastres aux trois premiers propriétaires qui établiraient sur leurs terres des villages de cinquante familles blanches, composées chacune au moins d’un ménage ; un prix de 20,000 piastres à celui qui produirait 45,000 arrobes de sucre raffiné, sans employer un seul noir ni dans la culture ni dans la fabrication ; un de 6,000 piastres à celui qui construirait dans le pays un appareil à cuire dans le vide ; un de 1,000 piastres au premier cultivateur qui créerait une prairie artificielle de deux caballerias[1]. D’autres primes étaient promises à ceux qui amélioreraient la race des bestiaux, qui introduiraient des animaux ou des industries utiles, à tout innovateur enfin dont les efforts heureux, tendant à remplacer la force par l’intelligence, assureraient à la main libre la préférence sur les bras esclaves (30 août 1844). Ces diverses récompenses ont été décernées dans le courant des années 1844, 45 et 46.

D’un autre côté, tout ce qui se fait dans nos colonies, en vertu d’ordonnances ou de règlemens pour l’amélioration du sort des noirs et leur émancipation progressive, s’accomplissait à Cuba, sans l’intervention du gouvernement, par le simple zèle des colons. On assainissait le logement des noirs, on leur bâtissait des infirmeries où les femmes et les filles de leurs maîtres ne dédaignaient pas de venir elles-mêmes les soigner ; on élevait dans les champs de cannes, dans les plantations de café éloignées des habitations, des hangars spacieux où les travailleurs pouvaient s’abriter des rayons perpendiculaires du soleil pendant le temps des fortes chaleurs, et se mettre à couvert de ces torrens de pluie que verse le ciel orageux des équinoxes. Un jour par semaine était laissé à l’esclave pour cultiver son champ, semer ses légumes, moissonner son maïs, ou cueillir ses bananes. Il pouvait amasser son pécule et se racheter de ses propres fonds. Bien plus, une coutume touchante s’est établie, à laquelle personne n’oserait se soustraire, tant l’usage est souvent plus impératif que la loi : chaque particulier, au moment de sa mort, émancipe les noirs spécialement attachés au service de sa maison ou de sa personne ; une petite rente ou un lopin de terre est assigné à chacun ; ils restent libres et à l’abri du besoin pour tout le reste de leurs jours. Trente, quarante nègres et négresses, selon la fortune du testateur, sont souvent affranchis à la fois, sans que les liens qui les unissent aux héritiers de leur ancien maître soient entièrement rompus par la manumission ; ceux-ci exercent toujours sur eux une espèce de patronage, les dirigent dans leurs affaires et les secourent au besoin de leurs conseils et de leur bourse : ils ne les ont plus pour esclaves, ils les gardent

  1. La caballeria équivaut à peu près à 50 hectares de terre.