Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ambition des États-Unis. C’est là le levain qui doit tôt ou tard, si l’on n’y porte remède, fermenter au sein de la population esclave et causer à la colonie de cruelles, de sanglantes épreuves. C’est aussi à prévenir une telle catastrophe que se sont appliqués depuis long-temps les Cubanes.

La presse havanaise n’a pas craint d’aborder à diverses reprises la question de l’esclavage. Quand cette question fut pour la première fois discutée par elle, l’absolutisme, attaqué dans son avarice, s’émut et protesta pour la première fois aussi contre cette quasi-liberté dont avaient joui jusqu’alors les journaux de l’île. Les écrivains généreux qui osaient démontrer la nécessité de substituer la colonisation libre à la colonisation esclave furent persécutés par les gouverneurs, plusieurs même allèrent expier dans l’exil leur attachement à de sages et libérales théories ; mais, pendant qu’ils promenaient en Europe les preuves vivantes du développement intellectuel et moral de la population cubane, leurs idées germaient dans l’île, et leurs plans se réalisaient.

C’est à la sollicitude du gouvernement de la métropole, à sa prévoyance et surtout à ses finances, que les colonies françaises doivent l’initiative de l’introduction sur leur territoire de cultivateurs d’Europe ; encore cette sage pensée n’a-t-elle reçu sa première exécution qu’à dater de la loi du 19 juillet 1845, qui accorde des crédits à cet effet. À cette époque, l’île de Cuba était déjà, depuis long-temps, entrée dans la voie de la colonisation libre ; déjà elle comptait plusieurs établissemens agricoles exclusivement exploités par des ouvriers blancs. Parmi ces établissemens, plusieurs, tels que celui de Cienfuegos, composé, à l’origine, de cent familles ou foyers, formaient des bourgs florissans et commençaient à payer leur part des impôts et des charges publiques. Qui avait conçu la pensée de ce premier pas vers l’abolition de l’esclavage ? qui en avait fait les principaux frais ? Les particuliers et les finances de l’île. L’Espagne, entraînée par le mouvement de sa colonie, avait bien autorisé ses ambassadeurs et ses consuls à accorder le passage gratuit sur les navires de l’état à tous les ouvriers blancs qui voudraient se rendre à Cuba ; elle avait bien consenti à se défaire en faveur des nouveaux venus de quelques realengos[1], terrains vagues et improductifs qui n’étaient qu’un sujet perpétuel de contestations entre l’état et les colons, mais elle n’avait fait rien de plus. L’île seule avait pourvu à tout, soit par des associations, soit par des dons particuliers, car on ne doit compter pour rien ce droit de 4 pour 400, prélevé, par ordre du gouvernement en faveur de la colonisation libre, sur les frais de procédure : la colonisation blanche n’en a jamais rien touché.

  1. C’est l’espace compris entre les diverses concessions de terres faites aux premiers colons de l’île de Cuba. Ces concessions se faisaient en cercle ; l’espace inoccupé que laissaient en s’écartant les circonférences tracées par le cadastre restait propriété de l’état, et s’appelait realengo.