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chercher à Philadelphie ou à la Nouvelle-Orléans ; mais comment pouvait-on supposer que des bâtimens aussi légers que ceux dont se composait généralement la marine insulaire se hasarderaient à traverser l’Océan ? N’était-il pas tout simple de prévoir en outre que, la fréquence des traversées constituant seule les bénéfices de l’armateur, il aimerait mieux vendre ses bâtimens que de les envoyer en Espagne pour ne faire que deux voyages au plus chaque année ? D’ailleurs, à quinze cents lieues de distance, comment asseoir des opérations assurées ? comment calculer quatre mois d’avance l’état de la place au moment des arrivages ? Si la loi eût arrêté complètement l’importation des États-Unis, les chances devenant égales pour tous, on aurait peut-être essayé d’une lutte ; mais aux États-Unis les grandes voies de communication sont si fréquentes et si peu coûteuses, que, malgré les 10 piastres de différence, des farines récoltées à cinq et à six cents lieues de distance de la Nouvelle-Orléans pouvaient se vendre encore sur les marchés de Cuba à plus bas prix que des farines espagnoles recueillies à quarante lieues seulement de la Corogne ou de Santander. D’ailleurs, la qualité de celles de l’Union est tellement supérieure, qu’on leur donne la préférence sur celles de la Péninsule, lors même qu’elles sont plus chères de 4 piastres.

On ne tarda pas à acquérir la triste preuve de l’inutilité de cette funeste mesure en ce qui touchait le commerce espagnol ; depuis l’année 1835, où la loi fut mise à exécution, l’importation des farines a toujours été à peu près partagée par moitié entre l’Espagne et l’Amérique, seulement celle-ci a transporté ses produits par sa propre marine. Quant à la marine de Cuba, elle a à peu près disparu ou s’est depuis bornée à caboter sur les côtes de l’île. Voilà le glorieux avantage, voilà le beau triomphe que l’Espagne a retiré de ce déplorable décret du 4 juillet 1834 ! la ruine de la marine cubane, qui était aussi la sienne, qui portait le même pavillon, sans augmentation de sa propre flotte marchande, — la ruine de la marine cubane au profit de celle des États-Unis ! Si le gouvernement de la Péninsule eût été confié à des mains plus sages, à des hommes qui ne fussent pas à la fois juges et parties, comme les députés des provinces agricoles, n’aurait-on pas trouvé au mal un remède plus efficace dans la création de communications commodes et peu dispendieuses ? Lorsqu’on songe qu’entre les plaines de Campos, qui produisent en Espagne la plus grande quantité des céréales destinées à l’exportation, et le port de Santander, lieu ordinaire d’embarquement, les transports s’opèrent encore à dos de mulets, on ne peut trouver assez de blâme pour un gouvernement qui n’hésite point entre le sacrifice complet de la marine d’une colonie et la dépense que lui aurait coûtée l’ouverture d’une simple route carrossable. La Péninsule ne pouvait-elle donc suivre le noble exemple que donnait déjà l’île de Cuba en s’occupant du tracé de son premier chemin