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rapide essor. Il était réservé à la liberté de se montrer pour elle moins libérale que l’absolutisme, de se prendre corps à corps avec son commerce, de méconnaître et de lui ravir les plus sacrés de ses droits.

Depuis 1818, la colonie, favorisée par sa position géographique, ses côtes naturellement découpées, riche de rades abritées, d’anses profondes et sûres, opulente en forêts peuplées de bois de construction et de mâture[1], s’était créé une marine que chaque année voyait grandir. Stimulées par l’exemple des États-Unis, par les besoins d’une population toujours croissante, encouragées par les bénéfices que procurait aux armateurs l’échange de leurs sucres et de leurs cafés contre les subsistances tirées du continent de l’Amérique, ses goëlettes, chaque jour plus nombreuses, glissaient d’un port à l’autre, cherchant des cargaisons, sillonnaient le vieux canal pour faire participer l’archipel rocailleux des Bahamas à la fécondité, de leur île, ou, fendant le dangereux courant du golfe des Florides, volaient vers New-York et Philadelphie, vers la Balise et la Nouvelle-Orléans. Toujours cependant elles revenaient chargées de farines et de viandes sèches, pleines au retour comme au départ. Dans ce commerce d’échange, si favorable à la vie maritime, la colonie trouvait un nouvel élément de prospérité, sa flotte marchande augmentait, et sur ces mers, depuis long-temps rebelles, c’était encore le pavillon espagnol qu’elle relevait.

Les cortès de 1834 n’en jugèrent cependant pas ainsi ; furieuses de voir le commerce des farines échapper aux propriétaires espagnols et la marine marchande de Cuba grandir en proportion décuple de la marine péninsulaire, elles résolurent d’atteindre à la fois l’Union et la colonie, oubliant que frapper la fille, c’était aussi frapper la mère, et que l’Espagne devait être la première à souffrir des désastres suscités à la prospérité cubane. Le 4 juillet 1834, une loi partie de Madrid alla foudroyer, au-delà de l’Atlantique, cette jeune flotte qu’avaient épargnée les ouragans des Antilles et les coups de vent du golfe du Mexique. Cette loi portait à 10 piastres le droit protecteur des farines, sous quelque bannière qu’elles fussent importées, et de plus assimilait presque les navires de Cuba, quant à l’ancrage et au tonnage, aux navires étrangers. C’était la ruine de la marine marchande de Cuba. L’intention des cortès n’était pas, il est vrai, d’aller aussi loin : elles ne voulaient que tourner vers l’Espagne les spéculations des colons armateurs et les obliger à venir charger à Santander les farines qu’ils allaient

  1. L’île de Cuba renferme de magnifiques forêts de bois de construction ; ces forêts ont autrefois rendu de grands services à la marine militaire espagnole. Jusqu’en 1798, on avait construit dans l’arsenal de la Havane, avec les bois de l’île, 125 bâtimens de forts échantillons, parmi lesquels 53 vaisseaux, dont 6 à trois ponts. Depuis cette époque, les bois de la Havane passent à l’étranger par l’exportation ; de 1825 à 1840, l’île a expédié en Angleterre, par le seul port de Jagua, le matériel nécessaire pour la construction de 30 frégates, ou 1,337,333 pieds cubes de bois.