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l’autre, pour maintenir sur ses marchés le haut prix du sucre et permettre à ses colonies de vendre le leur sans perte, frappait les sucres étrangers d’une surtaxe qui lui enlevait en dix ans 300 millions de numéraire. Cependant ni l’une ni l’autre ne comptent dans ces sacrifices l’entretien de leur administration, de leurs flottes et de leurs armées coloniales, les indemnités à payer par suite des révoltes d’esclaves, les frais ordinaires et extraordinaires, les dépenses de toutes sortes que le maintien de ce régime de plus en plus onéreux leur impose chaque année.


II.

On ferait cependant au gouvernement de l’Espagne plus d’honneur qu’il n’en mérite, si l’on supposait qu’éclairé par de pareils faits, il ne s’écarta plus désormais, à l’égard de sa colonie, de la ligne tracée par le décret de 1818. Malheureusement pour Cuba, les efforts de l’Espagne, à partir de cette époque, furent dirigés dans un sens tout contraire. On ne renonce pas d’un coup à des préjugés de trois siècles. A l’enivrement causé par la première remise de fonds de la Havane succéda bientôt chez les hommes d’état de l’Espagne le désir de s’assurer un plus riche tribut. D’abord on s’étonna de trouver aussi productive une île qu’on avait jusqu’alors dédaignée comme stérile, et puis on finit par se demander pourquoi, produisant déjà beaucoup, elle ne produirait pas davantage. Au lieu de lui tenir compte de ce qu’elle faisait, on se plaignit qu’elle fît trop peu. C’est une tendance commune aux gouvernemens et aux propriétaires inexpérimentés, que de trouver que leurs domaines ne rendent jamais d’assez fortes rentes. A peine ont-ils obtenu leurs premières moissons, qu’impatiens d’en arracher au sol de plus riches, ils tourmentent, pressurent, épuisent les terres ou les peuples. Voilà précisément ce qui arriva dans la Péninsule. On était parti en 1818 du principe inconnu de la liberté absolue du commerce ; on raisonna sur les résultats de ce principe d’après les idées connues du système restrictif : le raisonnement était faux, et les conséquences furent déplorables.

Si l’île de Cuba produit annuellement de 5 à 6 millions de piastres, alors que les marchandises importées et exportées ne sont frappées que d’un droit minime, que ne produirait-elle pas si nous augmentions seulement à l’importation les droits de certaines denrées, par exemple des denrées les plus nécessaires à la vie ! Ainsi raisonna le gouvernement espagnol. Il faut le dire, il était encouragé dans cette funeste argumentation par les obsessions des provinces agricoles de la Péninsule, qui s’indignaient de voir les États-Unis faire concurrence à leurs farines sur les marchés de Cuba. Que les agriculteurs de la Manche et de la Castille trouvassent mauvais que l’on consommât à la Havane le