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sous le joug de l’absolutisme, tandis que la liberté de Cuba survivait au système sous lequel elle était née.

Ainsi, l’œuvre capitale de la période révolutionnaire, qui finit pour l’Espagne à la campagne du duc d’Angoulême et à la restauration du roi absolu, fut l’émancipation commerciale de l’île de Cuba. Il était temps que le gouvernement de la Péninsule songeât à se créer des colonies productives ailleurs que sur le continent. L’Amérique du Sud lui avait échappé, un aventurier venait de lui ravir le Mexique ; de ces immenses vice-royautés des Indes, il n’allait plus lui rester qu’un débris tellement insignifiant, tellement inapprécié, qu’on avait cru pouvoir, sans inconvéniens graves, lui accorder, en échange de quelque argent, cette liberté commerciale que le Pérou, le Chili, le Mexique, n’avaient pu acquérir ni au prix de l’or de leurs mines, ni par la longue menace de leur émancipation. Cuba mit à profit les instans ; il semblait qu’elle eût hâte de repousser par le travail les injustes mépris du gouvernement espagnol. Ce qu’elle avait fait jusqu’alors n’était rien auprès de ce qu’elle allait faire, maintenant que sa position était devenue fixe et régulière. Dix ans ne s’étaient pas écoulés, que sa population comptait déjà 100,000 ames de plus. Les plantations de café étaient au nombre de 2,067, dont la moindre se composait de 50,000 arbres. Cuba exportait 400,000 caisses de sucre[1]. En échange de ces produits qu’elle livrait aux navires de toutes les nations d’Amérique et d’Europe, elle consommait pour plus de 100 millions de francs de marchandises étrangères.

Un jour, Cadix s’étonna de voir arriver d’Amérique un navire chargé de piastres. On crut les Indes reconquises, les mines du Nouveau-Monde rouvertes à l’Espagne, le temps des galions revenu : c’était Cuba, la petite colonie, l’île si long-temps méprisée, qui envoyait à la métropole son premier tribut en récompense de la liberté commerciale qu’elle en avait reçue dix années auparavant. Le fait était incompréhensible pour les gens qui ne savaient pas (et le nombre en était grand en Espagne) ce que l’indépendance du commerce peut apporter d’activité et d’opulence dans une colonie agricole. On se rappela alors que, depuis 1818, l’Espagne se chargeait d’envoyer à Cuba des gouverneurs, des juges, des administrateurs de toute espèce, des vaisseaux et des marins en grand nombre, des généraux et vingt-cinq mille soldats à peine vêtus ; mais on ne se souvenait pas que tous ces hommes envoyés si loin eussent, durant leur séjour à Cuba, coûté un denier à la métropole, ni en entretien, ni en traitement. Ils revenaient toutefois pour la plupart avec des économies considérables. Qui avait

  1. La caisse de sucre pèse 200 kilogrammes.