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cessé d’expédier aux colons leur pain quotidien ; les sucres et les tabacs s’entassaient vainement, sans pouvoir être échangés, dans les magasins de la Havane ; toute valeur était morte, tout commerce anéanti ; le règne du dénûment et de la famine commençait.

Durant les guerres de l’indépendance américaine surtout, les colonies transatlantiques de l’Espagne en général et celle de Cuba en particulier avaient essuyé des privations tellement intolérables, par suite du blocus de leurs ports, que le gouvernement de Madrid s’était vu dans l’obligation forcée de déroger en partie aux anciennes lois du monopole. Une ordonnance de Charles III, rendue en 1778, annulant le privilège de Cadix et de Séville, étendit à treize ports de l’Espagne le droit de commercer avec les Amériques. Si faible, si insignifiante que puisse paraître en elle-même cette concession, elle n’en eut pas moins pour l’île de Cuba d’assez heureuses conséquences. En effet, en temps de paix, la concurrence créée par un plus grand nombre d’arrivages amenait nécessairement une baisse dans le prix des marchandises importées, tandis qu’un plus grand nombre de demandes causait une hausse dans celui des denrées destinées à l’exportation. En temps de guerre, il fallait bloquer treize ports au lieu d’un seul, prendre deux cents navires au lieu de trente ou quarante : un blocus rigoureux devenait donc impossible. Aussi est-ce à dater de ce décret que l’on commence à signaler les premiers progrès de la colonie cabane. Dans les quatorze ans qui s’écoulèrent, de 1778 à 1792, la population blanche s’accrut de 37,000 habitans. C’était plus qu’il ne s’en était établi en cent ans, sous le régime du monopole absolu.

Telle était la situation de la colonie au moment où la révolution française, traversant les mers, vint souffler sur Saint-Domingue, et jeter à Cuba, avec un débris de la population de notre colonie, un nouvel élément de richesse. Un colon français échappé du Cap et recueilli par un pêcheur de Cuba acclimata dans l’île le café, ce précieux végétal qui, par un préjugé incompréhensible, avait été regardé jusqu’alors comme une plante de curiosité et d’agrément. Tout le monde se mit dès-lors à le cultiver. De nouvelles concessions furent demandées et faites par le fisc à des conditions favorables pour l’agriculture. La Vuelta arriba[1], encore couverte en grande partie de forêts vierges ou de marécages, vit de distance en distance ses arbres séculaires tomber sous la cognée pour faire place à des plantations artificielles, moins vigoureuses, mais plus utiles et plus lucratives. L’eau de ses sources abondantes, habilement détournée, porta de sillon en sillon la fertilité et la vie. Une ère nouvelle s’ouvrait. La fortune des uns naissait de la ruine et du naufrage des autres.

  1. Versant septentrional de l’île de Cuba.