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s’élancer vers lui. Le peuple la menace. Le chœur exhorte la Mère de Dieu à se tenir à l’écart : « D’ici on aperçoit tout au loin, regardons. » Serait-ce que le cortége tout entier de la passion était supprimé ainsi ? Je ne le crois pas ; en admettant que la pièce fût destinée à être représentée, la procession devait être le principal de la fête.

La Mère de Dieu gémit et souhaite de mourir, puis elle recommence ses antithèses et ses périphrases sur sa virginité féconde, qui font pendant d’une manière trop évidente aux périphrases et aux antithèses des Jocaste et des OEdipe sur leur hymen incestueux ; mais celles-ci sont suivant l’esprit grec, et celles-là sont on ne peut plus déplacées dans un sujet chrétien. Elle entre dans de tels détails que les citer en français serait impossible ; elle y revient encore plus loin (aux vers 1550 et suivans) en des termes inimaginables ; après cela, elle explique au chœur le péché originel qui a rendu la rédemption nécessaire, et elle lui annonce la résurrection qui doit suivre la rédemption. Tout cela est décousu et froid comme un catéchisme ; puis elle finit comme elle a commencé, et reprend sa douleur. — Le chœur ne veut pas être en reste de métaphores, et à son tour il en accomplit une très laborieuse pour exprimer son désespoir. — Un quatrième messager vient annoncer que le Christ est crucifié et mourant. Aucune des précautions oratoires et des circonlocutions raffinées qu’emploient en pareille circonstance les poètes grecs n’est omise. Enfin commence le récit ; mais, dès le quatrième vers, le principal est dit : Jésus est crucifié. Les vers suivans ne viennent que pour décrire les autres détails de la passion ; c’est justement ce qui devait être développé qui ne l’est pas. Ce récit est très mal fait, il n’y a pas d’écolier de rhétorique qui ne le composât infiniment mieux.

« LA MÈRE DE DIEU. — Venez, mes filles, venez ! plus de crainte ! que pouvons-nous craindre maintenant ? Allons ! je veux voir les souffrances de mon fils. Ah ! ah ! hélas ! hélas ! (Ici la scène change et représente le Calvaire). O femmes ! comme le visage de mon fils a perdu son éclat, sa couleur et sa beauté ! » Alors elle adresse la parole à son fils agonisant ; son fils lui répond du haut de la croix et la console doucement. — Pierre vient à passer, pleurant sa trahison : elle demande et obtient le pardon de Pierre. Enfin le Christ expire ; elle recommence à se lamenter en plus de quatre-vingts vers. Saint Jean vient, pour adoucir sa douleur, lui débiter des lieux communs, qu’elle sait bien, puisqu’elle les a déjà dits elle-même.

A partir de là, l’action, si action il y a, marche plus lentement encore qu’elle n’a marché jusqu’ici. Un soldat perce d’une lance le côté du Christ ; de la blessure jaillissent deux ruisseaux, l’un de sang, l’autre d’eau limpide. Le soldat, converti par ce miracle, se purifie avec cette eau. — Survient Joseph, et l’on opère la descente de croix. En recevant dans ses bras le corps de son fils, la Mère de Dieu dit une litanie de cent