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c’est un chapelet de maximes de tragédies, qui ne se tiennent pas mieux entre elles une à une que le morceau entier ne tient au sujet. Enfin, dans la troisième trentaine, l’esprit grec fournit à la Mère de Dieu toute sorte d’antithèses et de pointes sur sa virginité rendue féconde. Elle s’approprie les paroles où Hippolyte exprime sa chasteté. Elle se rappelle l’heureux moment où il lui fut annoncé qu’elle allait être mère et où son sein virginal tressaillit de joie, et ce sein est déchiré maintenant par des traits de douleur. « Toute cette nuit, dit-elle, je voulais courir pour voir quels maux souffre mon fils ; mais celles-ci m’ont persuadé d’attendre le jour. » Elle désigne par ce mot le chœur, qui, à ce moment, prend la parole :


« Maîtresse, enveloppez-vous vite. Voilà des hommes qui courent vers la ville.
LA MÈRE DE DIEU. — Qu’est-ce donc ? Vient-on d’apprendre que l’ennemi la menace dans l’ombre ?
LE CHOEUR. — C’est une foule nocturne qui roule bruyamment. J’aperçois dans l’espace obscur une armée nombreuse qui porte des torches et des glaives.
LA MÈRE DE DIEU. — Quelqu’un vient vers nous à pas pressés nous apportant sans doute quelque nouvelle.
LE CHOEUR. — Je vais voir ce qu’il veut et ce qu’il vient vous annoncer. Ah ! ah ! hélas ! hélas ! auguste mère et chaste vierge, quel est votre malheur, vous qu’on appelait bienheureuse !
LA MÈRE DE DIEU. — Quoi donc ! Veut-on me tuer ?
LE CHOEUR. — Non, c’est votre fils qui périt par des mains impies.
LA MÈRE DE DIEU. — Ah ! que dis-tu ? tu me fais mourir.
LE CHOEUR. — Regarde ton fils comme perdu. »


L’avant-dernière réplique est précisément celle de la nourrice à Phèdre dans Euripide, à la suite de ce vers célèbre : « Hippolyte ? grands dieux ! c’est toi qui l’as nommé. Ah ! que dis-tu ? tu me fais mourir ! » Il semblerait que le premier cri de la Mère de Dieu dût être pour son fils et non pour elle-même ; on n’aime pas que sa première pensée soit celle-ci : « Quoi donc ! Veut-on me tuer ? » Cela est peut-être plus réel, mais certainement moins idéal, et le personnage de la Mère de Dieu doit être plus près de l’idéal que du réel.

Le chœur lui apprend avec plus de détail qu’au point du jour son fils mourra, que pendant toute cette nuit on le juge. — Survient un second messager : il annonce qu’un disciple perfide a trahi le Maître pour de l’argent. Il raconte comment celui-ci, après la cène et le lavement des pieds, était allé au Jardin des Oliviers prier son père, et comment, dans ce jardin même, le traître, avec une troupe de gens armés, est venu le surprendre et le livrer en l’embrassant. — Les mots du récit de l’Évangile sont conservés çà et là, et des expressions empruntées au polythéisme viennent s’y mêler bizarrement : « Le traite ! avoir livré le chef de nos mystères (le mystagogue) !… L’illustre Pierre aussi a renié le maître ;